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passer dans le cœur du vieux roi la furie qui l’animait, lui représenta de simples mesures éventuelles comme un attentat médité par Ferdinand contre leur couronne. Au nom de sa dignité de reine et de mère outragée, elle exigea que le roi fît un exemple terrible en déshéritant ce fils criminel de ses droits au trône. Dans son délire de vengeance, elle laissait égarer sa parole dans les plus affreuses imprécations ; elle fit peur à Godoy lui-même. « La fureur de la reine est inouie, écrivait M. de Beauharnais, le 22 novembre, à M. de Champagny ; elle ne parle que de sang et de bourreau ; elle vomit des injures contre la France et l’empereur. Elle croit que la France soutient son fils. Godoy craint la reine et ses fureurs. » Charles IV ne se donna point la peine d’approfondir les motifs qui pouvaient atténuer, en les expliquant, les torts de son fils. Il crut tout ce que lui dirent le favori et la reine. Il fut frappé surtout de cet ensemble de mesures arrêtées dans l’attente de sa mort prochaine et combinées avec une prévoyance à la fois si minutieuse et si hardie. Ces décrets anticipés, et qui déjà portaient le seing de Ferdinand VII, lui apprirent que son fils était las d’attendre si long-temps la couronne, et cette révélation le navra de douleur. Il s’abandonna aveuglément aux impulsions haineuses de la reine, et adressa, le 30 octobre, à ses peuples, une proclamation par laquelle il leur annonça que son fils le prince des Asturies et ses perfides conseillers avaient conspiré contre sa personne et son autorité. Il voulut confier lui-même ses chagrins à l’empereur : il lui écrivit que son fils avait formé le complot terrible de le détrôner et osé attenter à la vie de sa mère. « La loi, dit-il, qui l’appelait à la succession doit être révoquée : un de ses frères sera plus digne de le remplacer et dans mon cœur et sur le trône. »

La nation espagnole aimait le prince des Asturies sans savoir s’il était digne de son amour ; elle l’aimait parce qu’il était jeune et malheureux ; elle l’aimait surtout parce qu’il était l’ennemi et la victime du favori. Elle attendait de lui le terme de ses propres misères, et, dans ses illusions, elle se plaisait à le parer de toutes les vertus, de tous les talens qui manquaient à ses maîtres actuels. Le récit de ce qui venait de se passer la remplit de surprise et d’horreur ; elle s’attendrit sur le sort de cette jeune tête livrée à la haine d’un favori et d’une reine abhorrés, et elle trembla que les murs de l’Escurial ne vissent se renouveler la sévérité cruelle de Philippe II. Alors elle tourna les yeux vers la France et fit des vœux ardens pour que l’empereur intervînt et sauvât son prince bien-aimé ; mais Napoléon n’eut pas besoin de s’interposer entre le père et le fils. Le bon et faible Charles IV ne ressemblait guère au terrible fils de Charles-Quint. Quant au prince de la Paix, cette pâle copie de Buckingham, lui non plus n’était pas cruel ; il avait tous les vices des voluptueux ; il n’avait ni l’audace ni la logique impitoyable