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Godoy succombait sous le poids de ses fautes et de la haine publique. Il n’avait plus en perspective qu’une chute ignominieuse, la confiscation de tous ses biens, l’exil, peut-être l’échafaud. C’est alors que, surexcité par son ambition aux abois, il conçut une pensée hardie. S’il parvenait à traîner ses maîtres en Amérique, il échapperait à tous les malheurs dont il était menacé ; il abandonnerait une terre où son pouvoir et son nom étaient maudits ; il irait gouverner des peuples qui, n’ayant point encore souffert de son incurie, supporteraient plus docilement sa domination. Un nouveau règne, pour ainsi dire, s’ouvrirait pour lui ; Charles IV et sa race retrouveraient un trône, un empire immense, tous les trésors du Mexique et du Pérou. En conséquence, il persuada à ses souverains que Napoléon était décidé à les détrôner comme il avait détrôné la maison de Bragance. Il leur montra ses armées pénétrant par toutes les issues dans le cœur de la monarchie, sur le point d’envelopper la demeure royale, et le beau-frère de Napoléon destiné peut-être à usurper leur trône quand il les en aurait chassés. En même temps que d’une main il leur montrait le danger imminent, de l’autre il leur montrait le refuge. « La maison de Bragance n’avait pu se soustraire à la honte d’une abdication forcée qu’en fuyant au Brésil. La maison d’Espagne devait fuir à son tour. Elle trouverait par-delà l’Océan de vastes possessions et des peuples nombreux qui salueraient son arrivée au milieu d’eux avec transport et lui obéiraient avec amour ; mais il fallait se presser, le torrent de l’invasion approchait, et bientôt la retraite deviendrait impossible. »

La reine n’eut point de peine à se laisser persuader. Depuis vingt ans, elle et le prince de la Paix gouvernaient ensemble ; ils avaient mis en commun leur incapacité et leurs vices : ils avaient les mêmes titres au mépris de l’Espagne. Comme le favori, la reine était impatiente de se dérober à la vengeance publique et au fléau de l’invasion. Le roi fut plus difficile à convaincre. Homme simple et loyal, il ne pouvait admettre que l’empereur voulût le dépouiller de sa couronne. Tout récemment encore, c’était dans le mois de février, Napoléon lui avait envoyé en présent quinze chevaux magnifiques. Comment concilier une attention si délicate avec le dessein perfide de le détrôner ? Cette supposition révoltait la raison et le cœur de Charles IV.

Évidemment, ce qui aurait convenu le mieux aux intérêts de l’empereur, c’eût été que la famille royale émigrât au Mexique : il eût trouvé l’Espagne veuve de ses souverains légitimes ; sur ce trône abandonné et vacant, il eût placé un de ses frères, et la révolution dynastique qui déjà certainement était l’objet de ses plus ardens désirs se fût accomplie immédiatement et sans secousses ; mais ce n’est pas dans ce dessein qu’il avait ordonné à Murat de se porter sur Madrid. La résolution de se retirer au Mexique était le secret de la reine et du favori, secret si