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rendus, dans la véritable acception du mot. La bouche ne parle pas, les yeux ont un regard vague, indécis ; les cheveux manquent de souplesse, de légèreté. Pour moi, c’est un travail plutôt préparé qu’achevé. M. Pradier, dont la main obéit si bien à sa pensée, se doit à lui-même de ne pas nous montrer une œuvre aussi incomplète. Quelques jours lui auraient suffi pour amener le portrait de M. de Salvandy au même degré de réalité que le portrait de M. Auber ; l’imperfection de son œuvre ne doit être imputée qu’à sa volonté. Le buste de M. Le Verrier me semble inférieur au buste de M. de Salvandy. On dirait que l’auteur a traité ce portrait comme une œuvre sans importance et s’est contenté d’une ressemblance vulgaire. Le modèle n’a-t-il pas posé assez long-temps ? M. Pradier n’a-t-il pas pu étudier à loisir le visage qu’il voulait copier ? A-t-il dû compléter par ses souvenirs ce qu’il avait ébauché en présence du modèle ? Je ne sais vraiment à quelle conjecture m’arrêter. Quelle que soit la véritable origine des défauts qui déparent ce portrait, ces défauts sont constans et frappent les yeux les moins clairvoyans. Sans avoir la prétention de retrouver sur le visage L’empreinte d’une pensée spéciale, prétention qui transforme trop souvent l’art en caricature, il nous est permis du moins d’exiger que la tête pense, surtout lorsqu’il s’agit d’un homme aussi éminent que M. Le Verrier. Or, le buste exécuté par M. Pradier est loin de satisfaire à cette condition impérieuse. Le front et la bouche sont modelés d’une façon très incomplète. Je regrette sincèrement que l’auteur, volontairement ou involontairement, ait exprimé avec tant de confusion, je devrais dire avec tant d’obscurité, la nature du modèle qu’il voulait reproduire. C’est une faute facile à réparer, car sans doute M. Le Verrier ne refusera pas de poser quelques jours de plus.

Je suis très loin de partager l’engouement de la foule pour la Femme piquée par un serpent de M. Clesinger. Cet engouement, il faut l’espérer, ne sera pas de longue durée. S’il en était autrement, le goût public serait singulièrement dépravé. J’aime à penser que la foule, éclairée par les remontrances des hommes sensés, comprendra toute la gravité de sa méprise, et ne se souviendra plus l’an prochain du nom qu’elle exalte, qu’elle glorifie depuis six semaines. L’année dernière, M. Clésinger jouissait encore d’une parfaite et légitime obscurité. Est-il cette année plus savant, plus habile que l’année dernière ? Pour ma part, je ne le pense pas. En premier lieu, cette femme piquée par un serpent n’exprime aucunement la douleur, le serpent est un véritable hors-d’œuvre ; il est très évident qu’il a été ajouté après coup. S’il fallait à toute force déterminer l’expression de cette figure, s’il fallait dire ce qu’elle signifie, quel sentiment elle révèle, certes un homme de bonne foi, un homme de bon sens ne se prononcerait pas pour la souffrance. Il est impossible, en effet, d’y voir autre chose que les convulsions de