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d’une donnée homogène, sources multiples d’intérêt se croisant sans se confondre, succession de tableaux dont il est impossible de saisir l’ensemble, grands mouvemens de scène, abus de couleur locale, feux du Bengale, emploi du grotesque, voilà ce qu’on trouve dans cet ouvrage, et voilà ce qui le rattache directement au drame moderne, dont il a l’agitation bruyante, le placage historique et les beautés clair-semées. Ces beautés même relèvent bien plus de Claudien que de Virgile ; on n’y sent point ce souffle de vraie poésie antique qui vivifie le moindre fragment d’André Chénier. Il y a, au contraire, du bas-empire dans ce manque absolu de simplicité, dans cette laborieuse recherche de la grandeur, dans cette façon de forcer les moyens pour multiplier les effets. Ce que je dis de la conception dramatique de M. Latour, on peut le dire aussi de son style. Son vers (qu’on me pardonne cette comparaison) cherche constamment l’ut de poitrine ; quand la note arrive, elle ne manque ni de sonorité ni d’éclat ; mais que de peines il a fallu prendre pour atteindre à cette poésie tendue, tourmentée, aussi fatigante dans sa force que dans sa faiblesse ! Pauvre muse moderne ! nos nouveaux poètes se vantent, dit-on, de redresser ses torts ; je croirais plutôt qu’ils la punissent de ses péchés.

Et cependant le théâtre moderne est-il si riche qu’on doive dédaigner des ouvrages tels que le Syrien ? Il y a là, sinon une vraie poésie, du moins une tentative poétique ; sinon de l’élévation réelle, au moins une intention élevée. On rencontre dans le rôle de la mère quelques accens vrais, dans celui de Sévère quelques traits brillans. Les deux premiers actes sont froids et ennuyeux, mais le troisième et le quatrième saisissent parfois l’imagination par ce pêle-mêle où passent l’amour et la débauche, la maternité et le blasphème, la vertu et le crime, le tout illuminé çà et là par quelques livides éclairs. Si l’auteur en était à ses débuts, si ses défauts pouvaient être attribués à cette sève exubérante que l’âge apprend à diriger ou à contenir, nous dirions que ce drame promet un poète. Arrivant après trois ou quatre grands ouvrages, et comme expression d’un suprême effort, le Syrien est assez difficile à définir : c’est l’œuvre d’un homme qui se croit probablement trop sûr d’avoir trouvé pour se donner le souci de chercher encore ; de qui on ne doit ni beaucoup attendre ni désespérer tout-à-fait, et dont le talent aurait plus d’avenir s’il avait un peu moins de passé.

En présence des imperfections de tout essai nouveau et de l’épuisement apparent ou réel des hommes sur lesquels on fondait les plus légitimes espérances, c’est un bonheur du moins d’assister à certaines reprises qui peuvent ramener les écrivains et le public à un sentiment plus élevé de l’art. La foule se porte avec empressement aux représentations d’Athalie ; elle applaudit avec transports à l’admirable talent de Mlle Rachel. Les relations sympathiques que noue entre les spectateurs et les acteurs d’élite la belle et savante interprétation des chefs-d’œuvre, tels sont les encouragemens vraiment utiles et féconds. En chercher dans la multiplication toujours croissante des théâtres prétendus littéraires, c’est commettre une fâcheuse méprise. L’industrie n’est pas l’art, la concurrence n’est pas l’émulation. C’est en lui-même, c’est dans le commerce intime et journalier des grands et beaux ouvrages, c’est dans l’émotion intelligente qu’il excite, que le véritable artiste trouve un noble et puissant mobile. La concurrence, au contraire, n’est bonne qu’à disperser et amoindrir encore les forces déjà si éparses de l’art actuel ; elle substitue aux excitations délicates qui sollicitent à mieux