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fortifications. Vauban a mis au rang des sciences exactes l’art d’attaquer et de défendre les places, et les chances d’un siége se calculent avec le même degré de certitude que les effets d’une machine. Le plan du comité du génie assurait infailliblement la reprise de Toulon ; mais, indépendamment des lenteurs de l’exécution, il n’épargnait à une ville française et à notre plus riche arsenal maritime aucune des horreurs ni des pertes qu’entraîne un siége régulier ; il ne nous rendait Toulon qu’après en avoir fait un monceau de décombres. Un jeune homme qui commandait en second l’artillerie sut conjurer ce malheur et réserver aux Anglais tous les désastres dont la ville était menacée.

J’ai eu la bonne fortune d’accompagner le colonel Picot, directeur des fortifications de Toulon, sur les chemins mêmes par lesquels le commandant Bonaparte conduisit nos soldats, quand il leur fit reprendre Toulon, en lui tournant le dos. A l’aspect des lieux et aux explications d’un guide aussi sûr que le mien, la justesse et la puissance de la combinaison deviennent si frappantes de clarté, que, pour comprendre comment d’autres idées ont pu se présenter aux esprits, il faut se souvenir de la découverte de l’Amérique et de l’œuf de Christophe Colomb.

Dans une lettre adressée d’Ollioule, le 24 brumaire an II (14 novembre 1793), au ministre de la guerre[1], Bonaparte expose son plan dans tous ses détails : « Chasser les ennemis de la rade est, dit-il, le point préliminaire au siége en règle… il serait possible que l’ennemi, étonné, ayant déjà perdu la possession de la rade, craignît d’un moment à l’autre de tomber en notre pouvoir, et se résolût à la retraite. Cela eût été sûr il y a un mois, où l’ennemi n’avait pas reçu ses renforts ; mais aujourd’hui il serait possible que, quoique la flotte fût obligée d’évacuer la rade, la garnison tînt encore et soutînt le siége…

« Nous devons donc distinguer deux périodes différentes dans le siége de Toulon… »

Il poursuit et détermine, avec cette précision de calcul qu’il porta depuis dans de plus grandes opérations, les forces et les travaux nécessaires pour atteindre successivement les deux termes qu’il se propose ; il démontre qu’une fois la presqu’île du Petit-Gibraltar et de l’Eguillette entre nos mains, l’ennemi ne peut plus tenir dans la rade, et revient à plusieurs reprises sur la probabilité que l’expulsion de sa flotte suffira pour nous rendre Toulon ; mais il ne s’en contente pas et ne croit sa tâche remplie qu’après avoir conduit les assiégeans jusqu’au pied de la brèche. En marge de cette pièce sont écrits de la main de Pache, alors ministre, ces mots empreints de la familiarité de langage du temps : — 3e DIVISION. — Examine les propositions de Buonaparte, et procure-lui tous les moïens de faire aller les affaires.

  1. Dépôt des fortifications.