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L’exécution du projet d’Henri IV fut prévenue par sa mort (14 mai 1610). Il allait, du moins en ce qui se rapporte aux habitans d’Hyères, un peu au-delà de la nécessité, et l’on pouvait, sans les arracher de leur séjour, réunir des soldats et des pêcheurs pour peupler Giens. On s’est depuis contenté de construire sur cette place la petite batterie du Pradeau. Est-ce tout ce que comportait la nature des lieux ? La marine et le génie militaire sont en état de répondre ; mais indépendamment de toute considération stratégique, des intérêts qui seront mieux compris quand nous aurons parcouru la plage et les îles de la rade font regretter l’oubli dans lequel la presqu’île est jusqu’à présent laissée.

Peu de villes de l’ordre d’Hyères[1] ont reçu de plus nombreuses et de plus illustres visites : sans parler de celles de saint Louis, de François Ier, de Charles-Quint, de Charles IX, la jeunesse, la beauté, la fortune, viennent des extrémités de l’Europe y chercher la santé ; on y vient aussi mourir, et les victimes de lésions incurables contractées sous d’autres climats s’éteignent sans douleur sous celui-ci. L’âpre souffle du mistral s’adoucit à Hyères ; la température, toujours de cinq à six degrés plus élevée que sur les montagnes environnantes, est la même que celle de Nice, et l’hiver se passe le plus souvent sans qu’elle descende à zéro. La végétation se ressent de cette heureuse influence ; dans la banlieue, 2,300 hectares de vignes sont garnis d’oliviers épars ; 650 autres sont exclusivement occupés par ces arbres ; les jardins d’orangers en comprennent 91, et, comme pour servir d’enseigne aux privilèges du climat, la terrasse de la ville est plantée de palmiers. La ville s’étale au soleil de midi sur la pente d’un coteau couronné de belles ruines ; une plaine d’une merveilleuse fertilité, nommée le Jardin d’Hyères, comme on dit la Huerta dans le royaume de Valence, se déroule à ses pieds ; la rade parée de ses îles et la haute mer bornent l’horizon. Cet heureux coin de la terre, dont la neutralité devrait être consacrée en faveur des malades de tous les pays, a souffert autant qu’aucun autre des vicissitudes de la guerre et des fautes des gouvernemens. En 1633, le président de Séguiran, n’y comptant que 7,000 habitans, le trouvait fort déchu de son premier lustre, et s’affligeait de ce que des familles des plus relevées de la province l’avaient abandonnée, pour ne pouvoir supporter les surcharges dont les malheurs de la guerre l’avaient accablée[2]. Cette décadence était alors loin de son terme, car, en 1690, les habitans de la communauté n’étaient que 4,100[3]. Le pays s’est depuis relevé ; la commune, qui forme à elle seule un canton, comptait 6,528 ames au

  1. On peut consulter sur ce pays les Promenades pittoresques à Hyères, de M. Alphonse Denis, ouvrage qui tient fort au-delà de ce que promet son titre.
  2. Procès-verbal de l’état des affaires de la côte maritime de Provence. (B. R., mss. 1037.)
  3. Mémoire sur la Provence, par M. Lebret, intendant, année 1698. (B. R., mss. N° 2241.)