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se jeter dans la mer de Syrie. Les hautes terrasses du couvent d’Antoura s’élevaient à notre gauche, et les bâtimens semblaient tout près, quoique nous en fussions séparés par de profondes vallées. D’autres couvens grecs, maronites, ou appartenant aux lazaristes européens, apparaissaient, dominant de nombreux villages, — et tout cela, qui, comme description, peut se rapporter simplement à la physionomie des Apennins ou des Basses-Alpes, est d’un effet de contraste prodigieux, quand on songe qu’on est en pays musulman, à quelques lieues du désert de Damas et des ruines poudreuses de Balbeck. Ce qui fait aussi du Liban une petite Europe industrieuse, libre, intelligente surtout, c’est que là cesse l’impression de ces grandes chaleurs qui énervent les populations de l’Asie. Les cheiks et les habitans aisés ont, suivant les saisons, des résidences qui, plus haut ou plus bas dans des vallées étagées entre les monts, leur permettent de vivre au milieu d’un éternel printemps. La zone où nous entrâmes au coucher du soleil, déjà très élevée, mais protégée par deux chaînes de sommets boisés, me parut d’une température délicieuse. Là commençaient les propriétés du prince, ainsi que Moussa me l’apprit. Nous touchions donc au but de notre course ; cependant ce ne fut qu’à la nuit fermée et après avoir traversé un bois de sycomores, où il était très difficile de guider les chevaux, que nous aperçûmes un groupe de bâtimens dominant un mamelon autour duquel tournait un chemin escarpé. C’était entièrement l’apparence d’un château gothique ; quelques fenêtres éclairées découpaient leurs ogives étroites, qui formaient du reste l’unique décoration extérieure d’une tour carrée et d’une enceinte de grands murs. Toutefois, après qu’on nous eut ouvert une porte basse à cintre surbaissé, nous nous trouvâmes dans une vaste cour entourée de galeries soutenues par des colonnes. Des valets nombreux et des nègres s’empressaient autour des chevaux, et je fus introduit dans la salle basse ou serdar, vaste et décorée de divans, où nous prîmes place en attendant le souper. Le prince, après avoir fait servir des rafraîchissemens pour ses compagnons et pour moi, s’excusa sur l’heure avancée qui ne permettait pas de me présenter à sa famille, et entra dans cette partie de la maison qui, chez les chrétiens comme chez les Turcs, est spécialement consacrée aux femmes ; il avait bu seulement avec nous un verre de vin d’or au moment où l’on apportait le souper.

Le lendemain, je m’éveillai au bruit que faisaient dans la cour les saïs et les esclaves noirs occupés du soin des chevaux. Il y avait aussi beaucoup de montagnards qui apportaient des provisions, et quelques moines maronites en capuchon noir et en robe bleue regardant tout avec un sourire bienveillant. Le prince descendit bientôt et me conduisit à un jardin en terrasse abrité de deux côtés par les murailles du château, mais ayant vue au dehors sur la vallée où le Nahr-el-Kelb