Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/657

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fronde, ni guerre de comuneros. Les rois de Portugal n’eurent jamais ni garde écossaise ni garde suisse ; aujourd’hui encore, les petits marchands de la capitale, revêtus du costume de hallebardiers, font le service à tour de rôle dans l’intérieur du palais. Ainsi mêlés passagèrement aux grands fonctionnaires de la cour, les gens du tiers-état apprennent à les connaître, à leur rendre des honneurs et à s’incliner devant eux dans la rue, quand ce ne serait que pour recevoir en échange un signe de tête. A la rigueur, cette coutume tendrait à maintenir un grand nombre de chefs de famille dans une condition à demi servile. Ce qui était jadis un honneur pourrait bien ne plus en être un aujourd’hui ; mais on tient toujours à ce qui a l’air d’une prérogative.

De son côté, la noblesse portugaise forme une classe distincte et puissante, qui n’a abdiqué ni ses privilèges ni son influence ; la classe moyenne n’a pas encore eu le temps de s’élever assez haut pour éclipser l’éclat des grands noms qui rayonnent dans l’histoire. Ce n’est point, d’ailleurs, sous le régime des guerres civiles, des factions, des soulèvemens provinciaux, que la richesse et le souvenir du passé perdraient leur prestige. Là où la question de principes se résume dans une question d’hommes, ne s’agit-il pas de revenir en arrière plutôt que d’essayer un élément nouveau ? Hier ne compte-t-il pas plus que demain ? Ainsi les esprits indépendans et réfléchis, ceux qui ne recherchent ni le patronage de la cour ni le dangereux honneur de commander une bande de populares, se tiennent à l’écart et attendent, en s’y préparant par l’étude, le temps où il leur sera possible de se faire écouter. On le devine, la noblesse a des sacrifices à s’imposer, si elle veut sincèrement le bien du pays auquel elle a rendu tant d’éclatans services, si elle le veut avec désintéressement, au préjudice des monopoles que la richesse attire entre ses mains, des majorats qui entravent l’agriculture, et de tant d’autres abus. Il faut que le fidalgo perde les allures de patricien qui le distinguent chez lui ; il faut qu’il s’étudie à rester, sur ce théâtre plus restreint où il a grandi en enfant gâté, ce qu’il sait être dans les capitales étrangères, attentif à orner son esprit et à cultiver son intelligence, ennemi des préjugés et d’une vie facile au sein de l’oisiveté.

Naturellement nous nous sommes arrêté sur cette place d’où la vue est si belle ; elle est l’ame de la capitale et du royaume entier, le centre du gouvernement, et par conséquent le rendez-vous de tous ceux qui se rattachent de près ou de loin à l’administration ou à l’état. Bien que la foule y soit mêlée, les fidalgos s’y montrent en nombre ; ils y sont chez eux. Si nous voulons chercher les autres classes, passons dans le quartier du commerce, et allons, sur la foi des dictionnaires de géographie, admirer la rue d’Or, la rue d’Argent, qui se prolongent jusqu’à une autre place d’un fort bel aspect, où s’élève le théâtre de Maria-Segunda. On doit traduire les noms de rua d’Ouro et rua da Prata par