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nommés rapsodes : c’étaient les trouvères des Grecs. Il est probable qu’elles ne furent consignées par écrit qu’environ deux siècles après leur composition. Dans un intervalle de temps si considérable, et avec un mode de transmission si défectueux, on est en droit de supposer que bien des changemens se sont introduits dans ces deux poèmes.

Wolf le premier attaqua l’unité de composition de l’Iliade et de l’Odyssée. Il prétendit qu’elles étaient l’œuvre de plusieurs rapsodes, dont les chants, d’abord composés isolément, avaient été dans la suite rassemblés et liés tant bien que mal les uns aux autres ; en un mot, il soutint que ces épopées ne sont que des compilations analogues à la collection des romances du Cid, aux sagas d’Islande, ou aux ballades de la frontière écossaise. Lachmann, continuant la thèse de Wolf, a proposé une nouvelle division de l’Iliade en seize chants, œuvres de différens auteurs, ou plutôt il ne reconnaît dans le poème que seize morceaux originaux composés à peu près à la même époque, sur autant de sujets distincts. Ces ballades ou ces récits poétiques auraient été cousus les uns aux autres par les académiciens de Pisistrate, ou tous autres premiers éditeurs, quels qu’ils puissent être.

N’est-il pas étrange que des érudits du premier ordre trouvent de vives raisons comme le docteur Pancrace, bien plus, de bonnes raisons, pour ne voir qu’une compilation hétérogène là où toute l’antiquité et tant de modernes ont reconnu un chef-d’œuvre de composition ? Ainsi Virgile, le Tasse et tant d’autres qu’on n’ose citer après eux, auraient trouvé le plan de leurs poèmes dans quelque chose qui n’a pas de plan ! Après tout, cela n’est pas plus extraordinaire que la poétique qu’on a prétendu tirer des tragiques grecs.

Voici fort en abrégé les argumens présentés par Wolf et son école les uns ne sont appréciables que par les érudits, ou plutôt par certains érudits qui, je crois, savent le grec mieux que Thucydide, et qui décident que telle partie de l’Iliade est, par le style, indigne du reste, et ne peut être que l’œuvre d’un rapsode obscur. Je m’incline humblement devant ces arrêts, et, faute de les pouvoir comprendre, je ne m’en occuperai pas. J’exposerai d’autres argumens à ma portée, c’est-à-dire à la portée de tous les lecteurs. — Il est impossible de ne pas reconnaître dans l’Iliade des contradictions nombreuses et choquantes. Tantôt c’est un héros tué dans les premiers chants, qui reparaît plein de santé dans les derniers ; tantôt ce sont des événemens qui occupent une place importante au commencement du récit, et dont on ne tient plus compte dans la suite. Par exemple, l’ambassade envoyée par Agamemnon à Achille pour lui offrir de lui rendre Briséis, racontée fort longuement dans le neuvième chant, est complètement oubliée dès le onzième, et plusieurs passages prouvent que l’auteur ou les auteurs des chants qui suivent n’ont pas connu cet épisode. Ces contradictions sont trop fortes