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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/700

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d’un noble dévouement ; mais on n’en suivit aucun. Les dangers vagues encore qui attendaient Ferdinand à Bayonne l’effrayaient moins qu’une rupture immédiate avec l’empereur Napoléon. Il déclara qu’il attendrait, pour se décider, le retour du général Savary ; mais, irrésolu et faible, il ne sut pas même se donner le mérite d’une entière confiance dans la magnanimité de l’empereur. En même temps qu’il allait se livrer entre ses mains, il se mettait en défense comme s’il redoutait un piège. Il faisait armer les paysans du Guipuzcoa et de la Biscaye ; il en composait sa garde personnelle ; il en remplissait les rues de Vittoria, les cours, le vestibule et jusqu’aux corridors de l’hôtel qu’il habitait. Enfin Savary arriva. À la vue de cette foule d’hommes armés et fanatisés qui encombraient la ville, il comprit que, depuis son départ, la situation s’était encore aggravée. Il se concerta avec le général Verdier, écrivit au maréchal Bessières d’envoyer en toute hâte à Vittoria un renfort de troupes, et puis il se rendit chez Ferdinand. Pour arriver jusqu’à la chambre qu’occupait ce prince, il lui fallut se faire jour à travers une multitude d’hommes de mauvaise mine, armés de fusils, de pistolets et de poignards ; tous le considéraient d’un œil farouche, prêts à le massacrer et à mourir eux-mêmes plutôt que de laisser enlever leur jeune roi. La présence du général français causa à Ferdinand et à toute sa suite une anxiété extrême. Le prince prit la lettre de l’empereur et la lut avidement. En voici les passages les plus remarquables :


« MON FRÈRE,

« J’ai reçu la lettre de votre altesse royale. Elle doit avoir acquis la preuve, dans les papiers qu’elle a eus du roi son père, de l’intérêt que je lui ai toujours porté. Elle me permettra, dans la circonstance actuelle, de lui parler avec franchise et loyauté. En arrivant à Madrid, j’espérais porter mon illustre ami à quelques réformes nécessaires dans ses états et à donner quelque satisfaction à l’opinion publique. Le renvoi du prince de la Paix me paraissait nécessaire pour son bonheur et celui de ses sujets. Les affaires du Nord ont retardé mon voyage. Les événemens d’Aranjuez ont eu lieu. Je ne suis point juge de ce qui s’est passé et de la conduite du prince de la Paix ; mais ce que je sais bien, c’est qu’il est dangereux pour les rois d’accoutumer les peuples à répandre du sang et à se faire justice eux-mêmes. Je prie Dieu que votre altesse royale n’en fasse pas elle-même un jour l’expérience. Il n’est pas de l’intérêt de l’Espagne de faire du mal à un prince qui a épousé une princesse du sang royal et qui a si long-temps régi le royaume. Il n’a plus d’amis. Votre altesse royale n’en aura plus si jamais elle est malheureuse. Les peuples se vengent volontiers des hommages qu’ils nous rendent. Comment d’ailleurs pourrait-on faire le procès au prince de la Paix sans le faire à la reine et au roi votre père ? Ce procès alimentera les haines et les passions factieuses. Ce résultat sera funeste pour votre couronne. Votre altesse royale n’y a de droits que ceux que lui a transmis sa mère. Si le procès la déshonore, votre altesse royale déchire par là ses droits. Qu’elle ferme l’oreille à des