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à la reproduire, en 1847, comme la dernière création de sa muse. Cette fois encore, l’intelligence du public est restée rebelle ; devant un nombreux auditoire, la symphonie de Faust n’a pas été plus heureuse que Benvenuto Cellini, que la messe de Requiem. Les beautés cachées de cette grande musique ne se sont révélées qu’à un petit nombre d’initiés.

Le livret de la Damnation de Faust est divisé en quatre parties. Dans la première, Faust se promène tout seul, en méditant, dans une plaine de la Hongrie. Pourquoi va-t-il méditer en Hongrie, pays dont il n’est pas plus question dans la légende que dans le drame de Goethe ? C’est que M. Berlioz avait besoin d’utiliser une idée musicale qu’il a trouvée dans ses voyages, et qui est très connue en Hongrie sous le nom de Marche de Rakoczy. Dans la deuxième partie, Faust, retiré dans son cabinet, y médite encore tout seul sur les vicissitudes de la destinée humaine. Son inséparable ami Méphistophélès vient le surprendre, et, après avoir conclu le pacte fatal, ils partent au galop et se mettent à voyager à travers l’Allemagne. Ils s’arrêtent pendant quelque temps dans la ville de Leipzig pour entendre raconter l’histoire d’une puce merveilleuse. Dans la troisième partie, on voit naître et se développer l’amour de Faust et de Marguerite ; dans la quatrième enfin, le drame se dénoue par la mort de l’une et par la damnation de l’autre.

Quelles que soient les imperfections de ce livret, on y remarque pourtant assez de situations contrastées et d’élémens dramatiques pour inspirer un compositeur qui aurait eu des idées et qui aurait su les exprimer ; mais si, d’un côté, M. Berlioz ne trouve presque toujours, au lieu d’idées, que des chants inintelligibles, de l’autre, il ne s’est pas donné la peine d’étudier suffisamment les procédés de l’art d’écrire ; car, lorsqu’un heureux hasard le conduit sur la trace de la moindre mélodie, il la gaspille aussitôt par son inexpérience des lois essentielles de toute composition musicale. Jamais il ne dit clairement ce qu’il veut dire, jamais il n’achève d’une manière satisfaisante la proposition commencée. Les efforts incroyables qu’il est obligé de faire pour articuler les vagues aperçus de son imagination l’exaltent et lui persuadent qu’il a fait merveille. Le froid accueil qu’il reçoit du public et des bons juges de l’art, loin de dissiper son erreur, ne fait que l’exciter à la résistance. Faute d’idées, il se jette dans les exagérations de la sonorité, il s’en prend aux élémens intimes du langage musical, au rhythme, à la carrure des phrases, à la périodicité des cadences, dont il bouleverse l’économie logique, si nécessaire à toute œuvre qui veut intéresser l’esprit humain.

Si cette étrange composition échappe à l’analyse, quelques morceaux du moins méritent une attention particulière. Au début de la première partie, Faust, se promenant dans une vaste plaine de la Hongrie, exprime les émotions qu’éveille en lui le spectacle des sereines beautés de la nature. Dans le morceau de symphonie qui succède à ce récitatif, dénué de caractère, M. Berlioz a essayé de reproduire les divers phénomènes du monde extérieur et de colorer par l’instrumentation le dessin que lui traçait la poésie ; mais la science lui a fait défaut en visant à l’imitation fidèle de la réalité, il s’est appesanti sur des détails puérils, il a écrit une confuse ébauche sur le sujet qui avait inspiré à Beethoven la Symphonie pastorale. Nous aimons infiniment mieux la danse des paysans, ronde en chœur d’une tournure mélodique assez agréable. Il y a de la vigueur et de la plénitude dans l’explosion de la joie commune ; seulement le morceau est