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doit de plus en plus pénétrer dans nos affaires politiques et administratives ; tous les bons esprits en sentent la nécessité. N’est-ce pas ce que proclamait lui-même dernièrement M. le ministre des affaires étrangères dans la discussion des crédits supplémentaires, quand il parlait du mouvement moral, de l’espèce de transformation qui s’opère en Syrie, où la féodalité druse est minée par l’action du temps et des mœurs, et quand il insistait sur la nécessité de constater les faits ? M. Guizot annonçait qu’il chargerait des hommes connus par leur dévouement à la cause des Maronites de visiter les lieux et de contrôler le rapport de nos agens. De cette façon, la France n’agira plus à l’aventure. Nous retrouvons partout le même besoin d’étudier et de savoir les faits. Si l’Afrique était mieux connue, assisterions-nous à ce pêle-mêle d’opinions et de systèmes sur toutes les questions qui se rattachent à l’Algérie ? M. Billault, avec la vivacité ordinaire à son talent, a reproché au gouvernement la mission de M. de Lagréné en Chine ; il a blâmé les dépenses qu’ont occasionnées la présence d’un agent extraordinaire et la conclusion du traité de Whampoa. — La France pouvait-elle rester inactive quand l’Angleterre et l’Amérique avaient chacune avec la Chine un traité spécial ? Sur ce point, les explications de M. le ministre des affaires étrangères ont été nettes. M. Guizot a parlé avec la même fermeté de la Grèce et de l’intérêt persévérant que lui porte la France. Nous eussions voulu entendre M. Guizot répondre avec la même décision aux interpellations de M. Dufaure sur l’Afrique et sur les excursions du maréchal Bugeaud dans la Kabylie. La question est fort simple. Le maréchal est politiquement responsable de ses actes envers le cabinet, qui lui laisse la liberté de ses mouvemens militaires ; autrement comment un général en chef pourrait-il agir ? A son tour, le cabinet est responsable envers la chambre et le pays de tout ce que fait en Afrique le gouverneur-général, qui est politiquement son subordonné. Voilà les véritables principes ; ils sont faciles à reconnaître et à pratiquer ; mais, sur ce point, la tolérance du gouvernement a laissé prendre des habitudes peu constitutionnelles à la chambre. Les orateurs et les commissions critiquent les opérations militaires de nos généraux, font et refont les plans de campagne. C’est un envahissement qui ne profite pas à la vraie liberté, qui confond les diverses attributions des pouvoirs, et risque d’amener un jour de déplorables résultats.

Au sein même de la majorité, on a regretté que le langage du gouvernement n’ait pas été plus ferme sur les questions qui lui avaient été posées par M. Dufaure, au sujet des mouvemens militaires du maréchal Bugeaud, et cette indécision a figuré parmi les griefs que M. Odilon Barrot a portés à la tribune, quand il a interpellé le ministère sur les raisons politiques qui ont déterminé la crise ministérielle. Les interpellations de M. Barrot, la réponse de M. le ministre des affaires étrangères, les explications de M. Lacave-Laplagne, ont été peu vives et fort courtes. Ç’a été un véritable désappointement pour ceux qui espéraient une de ces grandes scènes parlementaires où les passions et les intérêts des partis et des hommes politiques se livrent ouvertement un combat acharné. Il n’y a rien eu de pareil : personne à la chambre ne paraissait avoir envie de s’animer beaucoup et d’aller au fond des choses. Les questions, il faut le reconnaître, ont été posées avec gravité et mesure par le chef de l’opposition constitutionnelle. Pourquoi le ministère s’est-il modifié ? Ce remaniement partiel implique-t-il une modification dans la politique du cabinet, ou n’est-il qu’une satisfaction donnée,