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le double de ce qu’on aurait à payer ailleurs. Ils ont ainsi trouvé le moyen de donner et de vendre à la fois l’hospitalité.

En prenant le chemin de Kariès, on aperçoit plusieurs tours ruinées. Cette partie de la montagne est très boisée et contient du gibier à profusion, luxe inutile, car les moines, je l’ai dit, ne chassent pas. Plus loin, on traverse un pont à demi ruiné, et l’on arrive à un ermitage où se rendent chaque jour de nouveaux cénobites, et que l’agrément du site semble destiner à servir quelque jour d’emplacement à un nouveau couvent. A peu de distance de cet ermitage, je visitai une grotte assez profonde, et j’aperçus au fond un moine la face contre le mur et les bras étendus. Il s’était placé, dans l’attitude du Christ, devant une croix peinte en rouge sur le fond de la grotte. Il ne se dérangea nullement malgré le bruit de mes pas, et je m’éloignai. Cette malheureuse victime d’une exaltation religieuse poussée jusqu’au délire me rappela les vaines et cruelles tortures que s’infligent dans une autre partie de l’Orient les superstitieux disciples de Brahma.

Continuant mon pèlerinage sans m’arrêter aux couvens de Caracallon et de Philothéon, qui n’offrent rien de remarquable, j’arrivai par des sentiers abruptes au couvent d’Ivirôn. Les bâtimens qui le composent sont un peu moins confusément groupés que ceux des autres monastères. Une seule porte qu’on ferme le soir, de peur d’attaque ou de surprise, donne accès dans le cloître. En entrant, on trouve des magasins où les religieux vendent des images grossièrement imprimées qui leur viennent de Kariès, divers ustensiles fabriqués dans les couvens, des amulettes de corne et de cuivre, les premières ciselées au couteau, les secondes frappées au coin ; des vêtemens de caloyers et des tuniques taillées sur des tissus d’écorce d’arbre venus de Constantinople ; des voiles également de fabrique turque, brodés par les moines avec une adresse merveilleuse, et destinés au service de l’autel.

Je me mis en rapport avec le moine médecin du couvent, qui parlait assez mal l’italien. Il paraissait fort gai et me répétait à tout instant Gallia tricolor ! Nous sommes toujours des Gaulois pour les moines de l’Athos ; le nom de Français n’est point encore parvenu jusqu’à leurs retraites. Persuadé que mon voyage avait un but politique, et n’imaginant pas qu’on pût venir de si loin pour dessiner d’anciennes peintures, ce moine me fit sur la France une foule de questions auxquelles je répondis de mon mieux. Les habitans de cette extrémité reculée du continent européen n’ont pas oublié que nous avons secouru les Grecs dans la guerre de l’indépendance, et ils aspirent, eux aussi, à secouer le joug des Turcs. Le moine alla même jusqu’à me prier d’employer mes instances auprès du roi des Gaules pour l’engager à venir pulvériser la Turquie. Son langage, très flatteur pour la France, jurait un peu avec les gravures russes qu’on voyait collées contre le mur de sa