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du mont Athos ont toutes leurs propriétés en Moldavie et en Valachie ; c’est de là qu’ils tirent leurs revenus, qui sont considérables. Ils vont tous les ans y percevoir leurs rentes, et ramènent avec eux les plus beaux enfans de leurs fermiers. Elevés dans le cloître, ces enfans prononcent plus tard les vœux monastiques, et leurs frères restés en Valachie travaillent pour eux. C’est ainsi que sont comblés les vides que l’âge et la maladie viennent, chaque année, faire parmi les moines.

A quelque distance du couvent d’Ivirôn est une église sous laquelle s’étendent des catacombes que je voulus visiter. Le docteur qui m’accompagnait m’assura que ces souterrains contenaient cinq mille morts. J’aperçus un grand nombre de squelettes entassés pêle-mêle, et parmi ces squelettes beaucoup de cadavres qui n’étaient encore qu’à moitié consumés. Les dépouilles des moines sont en effet transportées dans ce lieu après six mois seulement de séjour dans la fosse commune. Je fus saisi d’un profond sentiment d’horreur à l’aspect de cet amas hideux et informe de débris humains, de vêtemens souillés et en lambeaux, mêlés aux fragmens des nattes où ces morts avaient jadis trouvé le repos de chaque jour avant leur entrée dans le repos éternel.

La nourriture des moines, plus que frugale, attendu qu’elle ne se compose guère que de crudités, telles que tomates et aubergines, finit par me donner la fièvre, et je partis, espérant que la marche me remettrait. J’arrivai à Coutloumousi, couvent qui n’est peuplé que de Bulgares. Dès que ces moines virent que j’avais la fièvre, ils ne voulurent plus me recevoir, et force me fut de me traîner plus loin. J’étais assis à l’ombre d’un ermitage, attendant que mon accès fût passé, lorsque l’aga résidant à Kariès, informé de la présence d’un étranger, vint me trouver. J’ouvris les yeux et me vis entouré d’une centaine de moines, sur le visage desquels se lisaient tour à tour la terreur et la curiosité. Ils me croyaient pestiféré. Le Turc me fit les politesses d’usage, et conclut en me disant que j’allais, jusqu’à nouvel ordre, rester en quarantaine dans le lieu même où je m’étais arrêté. Je me révoltai contre cette décision, et la manière dont j’accentuai mes paroles, que l’aga ne comprenait pas, parut faire impression sur lui. En dépit de ses ordres, je réunis toutes mes forces, et, passant indigné devant l’aga et à travers les moines stupéfaits, je grimpai jusqu’à la ville avec mon drogman, qui d’abord n’avait osé me suivre et se mourait de peur.

Kariès est situé au centre de l’Athos et domine une vallée très boisée. L’aspect de cette ville est celui d’une réunion de maisons de plaisance turques. Sa population est d’environ mille habitans. Les vingt-trois couvens de l’Athos envoient chacun, pour les représenter au protatôn de Kariès, un sénateur ou epistate, qui est ordinairement le dernier igoumenos sorti de ses fonctions. Chaque sénateur habite une maison particulière. Ses fonctions ne durent qu’un an. C’est parmi eux qu’est