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d’Égypte, et, si sa grande ame put s’affaisser un moment à l’aspect de son propre sort, elle dut se redresser heureuse et fière, à la pensée qu’en couvrant de quatorze années d’ordre et de gloire les résultats de la révolution française, il les avait rendus impérissables.

Les cités ont aussi leurs vicissitudes, et Fréjus en est un exemple. Cette ville, aujourd’hui réduite à moins de 3,000 habitans, en a jadis compté plus de 40,000 ; César et Auguste après lui se plurent à l’agrandir et à l’élever. Les antiquaires se sont souvent arrêtés sur les vestiges de ses aqueducs et de ses temples ; s’ils fouillaient les décombres de son amphithéâtre, ils seraient probablement aussi bien dédommagés de leurs peines qu’à celui d’Arles. Considérées sous le point de vue des intérêts maritimes, les prospérités passées et la décadence actuelle de Fréjus expliquent avec une égale facilité, aucun autre point du littoral n’offre peut-être de plus instructives leçons sur ce phénomène de l’envasement, dont les effets et les remèdes ne seront jamais assez étudiés.

Fréjus est situé au débouché de la vallée de l’Argens ; après celle du Rhône, c’est la plus étendue qui s’ouvre sur la côte de Provence : elle a près de 300,000 hectares, et la richesse du sol y fut grande de tout temps. Quand la profondeur de la mer répondait devant Fréjus aux avantages dont la terre adjacente est parée, ces lieux semblaient réunir toutes les conditions requises pour la formation d’un grand arsenal maritime, et les Romains y fixèrent une de leurs principales stations navales (Navale Augusti). Malheureusement l’abondance des dépôts de l’Argens, si précieuse pour l’établissement agricole, portait en soi le principe de la ruine de l’établissement maritime. Le danger se faisait déjà sentir avant le commencement de l’ère chrétienne, et, pour empêcher les alluvions de gagner de ce côté, Agrippa, favori d’Auguste, fit construire, au sud-ouest du port, un long épi ; mais le remède était borné, et la source du mal intarissable. Quand l’épi d’Agrippa fut tourné par les atterrissemens, on entreprit contre eux une autre lutte : on amena les eaux de l’Argens dans le port, probablement pour faire des chasses, et l’envasement s’opéra par le haut, au lieu de s’opérer par le bas. Puis on creusa jusqu’à la mer, dans le terrain nouvellement déposé, un chenal qui s’est conservé jusqu’à la fin du XIIe siècle. En 1555, l’activité du mouvement maritime déterminait Henri II à créer à Fréjus un siégé d’amirauté. En 1633, la ville avait encore 6,000 ames, mais le négoce étoit abattu, et le port, autrefois renommé et fréquenté par-dessus tous les autres de la province, s’était tellement rempli, qu’il n’était plus capable de recevoir autant de bateaux qu’autrefois de galères et grands vaisseaux ; les bâtimens de 50 tonneaux étaient les plus forts qu’il admît[1]. En 1704, on voyait, à la place de ce même port, un étang

  1. Procès-verbal du président de Séguiran.