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la mer, on est obligé de la reconnoître. » Ces avis ne furent pas perdus ; des bouches du Var à celles du Rhône, sauf au golfe Jouan même, les traces en sont partout empreintes. Toute la politique du temps se montre dans les considérations sur lesquelles se déterminait le cardinal : elles ne seraient plus aujourd’hui de saison, car une grande partie des vues de ce grand homme est réalisée ; mais, si les inimitiés et les alliances ont changé, les œuvres de la nature sont restées les mêmes ; à 110 kilomètres de Toulon, à 21 de Nice, à 170 de Gênes, à 165 de la Corse, le golfe Jouan couvre toujours, du côté de l’est, toute la côte de Provence ; il n’a rien perdu des avantages de sa position, et ils sont toujours susceptibles d’être augmentés.

Tel qu’il est, il suffit aux besoins des circonstances actuelles ; mais, si l’histoire du passé, les prévisions de l’avenir faisaient croire à la nécessité de le fortifier, la chose serait facile et peu coûteuse : d’un côté, les roches sous-marines qui gisent entre la pointe de la Croisette et l’île Sainte-Marguerite ; de l’autre, les Basses de la Fourmigue serviraient de fondemens et d’appuis à des digues, à des batteries, et, sous cette protection, les rades de Cannes, de Sainte-Marguerite et du golfe Jouan deviendraient, pour la marine à vapeur, des refuges infiniment plus vastes et tout aussi sûrs qu’aucun de ceux que les Anglais construisent à si grands frais sur la Manche.

Sainte-Marguerite a 210 hectares de superficie, et Saint-Honorat 45 ; l’une est la Lero, l’autre la Lerina des anciens, et de là leur est venu le nom collectif d’îles de Lérins ; elles doivent leurs noms particuliers à Marguerite et à Honorat, son frère, qui vivaient saintement à Lero, au commencement du Ve siècle : en 410, Honorat reçut du ciel l’inspiration d’aller fonder dans l’île voisine le monastère qui fut depuis si célèbre ; il l’établit sur la pointe du sud, voulant sans doute mettre ses religieux en face de cette immensité de la mer qui fait si bien penser au ciel. Ravagée au IXe et au Xe siècle par les Sarrasins, l’île de Saint-Honorat a depuis été long-temps respectée par les corsaires musulmans. De nos jours, d’autres barbares ont démoli l’abbaye, et l’élégance de ce qui reste de ce monument fait vivement regretter ce qu’il a perdu. L’île ne se recommande plus aujourd’hui que par sa bonne culture ; les labeurs parcimonieux de la petite propriété l’ont dépouillée de ses arbres et des embellissemens qui la faisaient jadis nommer par les matelots l’Aigrette de la mer.

Sainte-Marguerite est couverte de bois. Un fort, qui fait face à la côte et commande le mouillage, lui sert de défense. C’est là que fut enfermé, de 1686 à 1698, le masque de fer : il habitait une grande pièce carrée dont la fenêtre, percée dans un mur très épais, garnie d’un double grillage en gros barreaux de fer, ne laisse entrevoir qu’un peu de ciel et d’eau ; ce qui se passait en dehors de ce coin de l’horizon était aussi