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et l’industrie de Grasse, dont Cannes est le port, s’est beaucoup développée. Ces circonstances expliquent comment, pour les quatre années 1842-45, la moyenne du produit des douanes s’est élevée à 320,840 fr.

De Cannes à Grasse, le pays n’est pas moins beau que sur la côte. La route passe près de Canet, dont la banlieue est un vaste jardin de fleurs. Au nord-est est Vallauris, dont les poteries ont conservé dans leurs formes la grace et la simplicité de l’art antique : on croirait que le Poussin les a prises pour modèle de l’amphore de sa Rebecca, et s’est inspiré, pour son tableau d’Acis et Galatée, du paysage des environs. Souvent les grands artistes ont transporté dans leurs œuvres la trace des routes qu’ils ont suivies, et le Poussin a traversé ce pays, si, dans ses voyages de Rome, il a pris la seule voie qui fût fréquentée de son temps[1]. Plus loin est Mougins, bâti comme un nid d’aigle sur un pic de tous côtés battu par les vents. A sa position sauvage et militaire, à l’entassement désordonné de ses maisons, l’œil qui a vu les caroubas des Cabyles reconnaît un village berber fondé pendant l’occupation des Sarrasins.

Grasse est la ville des jardins et des fontaines. Les jasmins, les tubéreuses, les jacinthes, les roses, s’épanouissent à ses pieds lorsque la neige couvre encore les Alpes voisines. Ce n’est point uniquement par amour des beautés de la nature que ses habitans entretiennent autour de ses murs cette ceinture odorante : indépendamment des couleurs dont elle émaille la campagne, elle a le mérite d’alimenter un commerce de parfumerie très considérable ; les fabriques du quartier Saint-Martin et des boulevards de Paris sont presque toutes à Grasse. La ville ne pourrait perdre cette industrie qu’avec l’éclat de son soleil et l’abondance de ses eaux vives ; depuis longues années, elle se maintient par elle parmi les plus prospères de son rang, mais elle y demeure à peu près stationnaire : elle avait 12,350 habitans en 1698[2] ; elle en comptait 11,576 au recensement de 1846, et les dénombremens intermédiaires ont été rarement fort au-dessus ou fort au-dessous de 12,000 ames.

L’habitude de fabriquer des cosmétiques pour le beau sexe ne semble pas être de celles qui préparent le mieux aux résolutions héroïques : la population de Grasse a néanmoins montré, dans des occasions mémorables, que le caractère pacifique de ses occupations ne l’avait point énervée. En 1536, elle abandonna ses habitations et détruisit d’avance toutes les ressources qu’offrait le pays, afin que l’armée de Charles-Quint, à laquelle elle était hors d’état de résister par la force, fût au

  1. « C’est là (à Cannes) où tous les quinze jours vient l’ordinaire de Lyon, qui s’embarque dans un bateau armé pour Gênes, où il porte ses dépêches, et à son retour il apporte celles de Rome. » (Procès-verbal d’H. de Séguiran, 20 février 1633.)
  2. Mémoires sur la Provence en 1698, par M. Lebret, intendant. (B. R., mss.)