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barrières et d’en redescendre au travers de la Suisse jusqu’aux bords du Rhin. La manière dont on emploie à côté de nous le temps que nous perdons en discussions oiseuses ajoute à l’urgence de la jonction de la Méditerranée à l’Océan par le chemin de fer de Marseille à Paris. Les avantages commerciaux de cette ligne ne sont pas les seuls qui la recommandent. En cas de guerre maritime, elle transporterait, en moins de jours qu’il ne faut de mois pour faire par mer le trajet correspondant, le personnel d’une flotte entière de la Méditerranée à la Manche ou de la Manche à la Méditerranée. Les mêmes équipages pourraient combattre aujourd’hui sur les vaisseaux de Cherbourg, dans huit jours sur ceux de Toulon, et compenser par leur mobilité l’infériorité du nombre ; le sort d’une guerre peut dépendre de la prompte réalisation de cette nouvelle stratégie.

Les limites de l’avenir promis aux chemins de fer qui partent de la Méditerranée sont peut-être à la veille d’être reculées par une révolution plus vaste qu’aucune de celles qu’ait subies le commerce de cette mer. Le percement de l’isthme de Suez placerait les Indes orientales plus près de Marseille que ne le sont les Antilles ; nos colonies de Pondichéry, de Bourbon, de Madagascar, ne seraient plus qu’au quart de la distance qui les sépare aujourd’hui de la métropole ; les navires d’Europe arriveraient dans la mer des Indes et sur la côte orientale d’Afrique en moins de temps qu’il ne leur en faut pour gagner la relâche de Rio-Janeïro. Les ingénieurs français qui suivaient Napoléon en Égypte ont déterminé toutes les conditions d’établissement du canal maritime qui mariera l’Europe au monde indien[1]. Le niveau de la mer Rouge est de 9 mètres 908 millimètres supérieur à celui de la Méditerranée ; d’Alexandrie à Suez, en passant par le Caire, la distance est de 300 kilomètres, c’est-à-dire la même que celle de Paris à Cherbourg. Le jour où cet espace sera franchi par un navire, la moitié du commerce de l’Océan prendra son cours à travers la Méditerranée, et celui de l’Asie et de l’Afrique avec l’Europe décuplera. Ce ne sera point à la France, maîtresse de Marseille, de Toulon, de la Corse et de l’Algérie, à se plaindre de cette révolution ; aucun pays, après l’Égypte n’y gagnera plus que le nôtre.

Le monde civilisé, disions-nous au début de cette course, gravite tout entier vers la Méditerranée. C’est autour de ce lac européen que s’enfantèrent dans l’antiquité les plus grands chefs-d’œuvre de l’esprit humain, et, depuis le commencement de ce siècle, que d’événemens accomplis ! que de semences fécondes jetées sur ses bords ! L’Angleterre,

  1. Description de l’Égypte, t. Iter. Mémoire sur la communication de la mer des Jades à la Méditerranée par la mer Rouge et l’isthme de Soueys, par M. Lepère, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées attaché à l’expédition d’Égypte.