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à force de réalité ; d’analyser curieusement des nouveautés basses ou périlleuses, et quelquefois des monstres, sans dédaigner même les ressources matérielles et l’appareil des haillons pour émouvoir à tout prix. Elle est décousue, parce que, poète agile, grand improvisateur, inspiré et sceptique, homme de fantaisie et de caprice, le génie d’Euripide est plein de hasard, et ses compositions pleines d’inégalité. Il néglige ses plans plus qu’il n’est permis même à un Grec, et, quand il a traité les scènes à effet, il laisse à son collaborateur le soin d’achever ce qui l’ennuie. Subissant en outre l’influence de la révolution intellectuelle, morale et sociale, qui s’accomplissait alors, et réagissant sur elle à son tour, mêlant à ce pathétique trop vif des déclamations hardies et toutes les saillies turbulentes de l’esprit nouveau, ses œuvres manquent de calme et d’ordre ; on remarque déjà çà et là le trouble et l’agitation des œuvres modernes. L’ordre intime, qu’une conception lente et désintéressée peut seule produire, y fait défaut. Et voilà pourquoi elles ont en somme plus de variété que d’unité. Aristophane n’a donc pas tort, quoiqu’il ne montre que les défauts d’Euripide, et, dès Euripide en effet, la tragédie avait déjà décliné.

Quand il fut mort après Eschyle, et que Sophocle les eut suivis tous les deux, elle descendit rapidement sur cette pente où il l’avait placée. Agathon, son ami et son imitateur, exagéra encore, en les copiant, des défauts qui réussissaient, et sut partager avec lui les bonnes graces du Toi Archélaüs et la faveur de tous les Grecs. Plus rapidement encore qu’Euripide, il achemina la tragédie vers la comédie nouvelle. Par là il plaisait à ses contemporains, et il avait pour amis les plus aimables. C’est chez Agathon, après sa première victoire dramatique, que Platon a placé la scène de son Banquet, où les convives sont, entre autres, Socrate et Aristophane, auxquels vient se joindre Alcibiade. Nous avons d’Agathon une vingtaine de fragmens, dont le plus long, qui a six vers, donne une idée des tristes jeux d’esprit que ne dédaignait pas dès-lors la tragédie. Un berger qui ne sait pas lire, mais qui rapporte ce qu’il a vu, y décrit lettre par lettre le nom de Thésée (ΘΗϹΕΥϹ) : « Parmi ces caractères, on voyait d’abord un rond avec un point au milieu ; puis deux lignes debout, jointes ensemble (par une autre) ; la troisième figure ressemblait à un arc de Scythie ; puis c’était un trident couché ; ensuite deux lignes se réunissant au sommet d’une troisième, et la troisième figure se retrouvait à la fin encore. » Croirait-on qu’Euripide avait donné le modèle de ce singulier détail littéraire, et que Théodecte le renouvela après Agathon ?

D’abord le fonds de la tragédie était épuisé. Elle était née du croisement de la poésie chorique avec la poésie épique dans les chants des fêtes de Bacchus. Or, la partie chorique était tombée bientôt, en même temps que l’esprit religieux, qui d’abord l’avait animée. Le chœur, qui