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produire un bien ; mais ce bien n’était-il pas plus apparent que réel, compensé par la diminution sensible qu’en éprouvait la marine marchande ? N’était-ce pas là une véritable perte, qui pesait également sur tout le pays et menaçait à la fois dans une de leurs sources les plus abondantes la puissance et la prospérité nationales ? Tels furent les résultats de la première restriction faite au système de commerce libre en faveur des farines de Castille : pour réparer un mal qui n’atteignait qu’une classe, on produisait un malaise général dont la nation entière allait se ressentir. L’Espagne s’était évidemment engagée dans une fausse voie en dérogeant au décret de 1818 ; il ne lui restait plus que deux partis à prendre : ou revenir franchement au sens du décret, à la lettre des franchises de douane, sans restriction, sans arrière-pensée, ou persister dans le système du droit restrictif en étendant la protection au-delà des limites où elle s’était jusqu’alors tenue. La première de ces mesures était la plus sage, la plus prudente ; malheureusement il n’en fut pas jugé ainsi dans le conseil du roi Ferdinand. Une loi rendue à la fin de 1829, exécutée vers les premiers jours de 1830, soumit le pavillon étranger à des droits excessifs de tonnage dans les ports de l’île de Cuba. Cette loi n’atteignit qu’à moitié le but que s’était proposé le gouvernement. L’importation des farines espagnoles par navires étrangers s’abaissa tout à coup en 1830 à 3,000 barils, fut presque nulle en 1831, disparut complètement en 1832, sans que pour cela l’agriculture péninsulaire eût gagné un pouce de terrain. La marine, il est vrai, se releva un peu à ses dépens, elle eut à faire seule les transports qu’elle partageait autrefois avec le pavillon des États-Unis ; mais ce fut un faible avantage, et le commerce des farines espagnoles diminua sensiblement. De 85,000 barils, il tomba en 1831 à 39,000, puis à 28,000, puis à 25,000.

Les choses en étaient là lorsque Ferdinand VII vint à mourir, et avec lui la monarchie absolue. L’avènement d’Isabelle II amenait en Espagne le régime constitutionnel avec l’incertitude et l’instabilité qui marchent à la suite de l’inexpérience parlementaire. De plus, la constitution de 1833, plus française que celle de 1812, n’appelait pas les colonies à la représentation nationale. C’est dire assez que les intérêts des Cubanes, se trouvant sans défense en présence de tant d’intérêts contraires, devaient succomber, et que toutes choses dans les colonies, comme dans la métropole, seraient remises en question à chaque nouvelle session des cortès. Ces tristes prévisions ne tardèrent pas à se réaliser : si les dernières années du despotisme avaient été fatales à l’île de Cuba, les premiers jours du système constitutionnel lui furent bien autrement funestes. Jusqu’alors, en effet, on n’avait porté à sa prospérité que des atteintes indirectes, on l’avait gênée par des mesures intempestives, mais sans arrêter ses développemens, sans entraver son