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dramatique, à peine commencée, a été interrompue pour long-temps. Faut-il donc renoncer à cette réforme du théâtre qui devait couronner la poésie nouvelle ? faut-il abandonner, comme des illusions, les espérances des conseillers sévères qui cherchaient à maintenir les poètes dans la voie si heureusement ouverte ? Ce serait une humiliation trop cruelle. D’ailleurs, tous les maîtres, tous ceux du moins qui prétendent à ce titre, n’ont pas dit leur dernier mot. Il nous en coûterait trop de le croire, pour l’honneur même des écrivains qui s’annonçaient, il y a seize ans, comme les réformateurs du théâtre. Il faut qu’ils le sachent bien, les principes de la rénovation littéraire n’ont pas été consacrés à la scène, et les œuvres tant promises, le XIXe siècle les attend encore.

Qu’on n’objecte pas que les dispositions présentes du public soient mauvaises, ni que le moment soit défavorable. Le public, dans son instinct naïf, s’aperçoit confusément de ce qui nous manque. Il semble comprendre que la poésie dramatique a besoin d’être renouvelée avec éclat. Il cherche un succès, il le provoque, il est plus disposé à inventer les poètes qu’à les éconduire. D’où est venu, dans ces derniers temps, le succès extraordinaire de Lucrèce ? Précisément de cette disposition où nous sommes. Dans l’absence de toute œuvre vraiment inspirée, le public s’est attaché à la Lucrèce de M. Ponsard, et comme il y reconnaissait la trace d’un travail sérieux, il a cru y découvrir des qualités supérieures. L’estimable étude d’un écrivain soigneux a été prise un instant pour ce chef-d’œuvre que nous attendons tous. Voilà un symptôme rassurant. Ce n’est pas le public qui manquera aux poètes. Pourquoi les poètes, pourquoi les jeunes écrivains, les nouveaux venus surtout, lui manqueraient-ils ? Pourquoi, au lieu de recommencer les Méditations et les Orientales, au lieu de varier à l’infini les symphonies éclatantes ou les légères fantaisies de leurs devanciers, ne se donneraient-ils pas rendez-vous sur ce terrain fécond de la scène, où nulle gloire récente n’offusquera leurs efforts ? Si quelque grand poète lyrique se lève du sein des générations survenantes, il saura bien se faire sa place ; pourtant il y a plus de chances de succès là où le rameau sacré n’a pas été cueilli.


V.

Que conclure de tout ceci ? Quelles obligations résultent pour nous de cette situation des lettres ? quelle tâche nous est imposée ? Deux choses surtout doivent être évidentes pour tout le monde : d’un côté, les désastres qui nous menacent, de l’autre, les fécondes ressources qui nous restent et qui peuvent tout réparer. Après l’examen de ce qui s’est fait pendant cette première moitié du siècle, la critique a un double devoir à remplir ; il faut qu’elle pousse à la fois et un cri d’alarme