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la situation et l’aspect d’Ayodia. Souvent une épithète homérique a suffi pour indiquer aux géographes le site d’une ville grecque. Si les débris de l’antique cité indienne n’en marquaient encore aujourd’hui l’emplacement, je crois qu’on aurait eu quelque peine à le déterminer, malgré le chapitre entier du Ramayana qui porte le titre de description d’Ayodia et qui a quarante vers.

La sévérité du goût occidental pourrait reprocher aussi à cette riche poésie de l’Inde une prodigalité, une exubérance trop grande d’épithètes et d’images ; on trouve quatre comparaisons de suite pour désigner le même objet. Ainsi la belle Ahalya, devenue invisible par un enchantement, est comparée à une image aérienne et insaisissable formée par Brahma, à une vive flamme que voile la fumée, à la pleine lune entourée de nuages, à la clarté du soleil réfléchi dans l’eau. Chacune de ces comparaisons est ingénieuse, mais c’est trop de moitié. Homère n’en a jamais employé plus de deux pour le même objet. Ailleurs cette accumulation est encore moins heureuse. Le père de Rama est comparé à un serpent, à l’Océan, au soleil qui s’éclipse et à un sage qui a dit un mensonge. Il est un peu difficile de ressembler en même temps à tout cela.

Pour le pathétique, l’épopée indienne peut presque lutter avec l’épopée hellénique. Sans doute elle n’offre rien, à ma connaissance du moins, qui égale le discours de Priam aux genoux d’Achille. Il y a même dans les plaintes de la mère de Rama, au moment où le héros s’éloigne, une surabondance qui touche à la déclamation, défaut qui n’approcha jamais de la chaste et sobre muse d’Homère ; mais certains passages du Ramayana ont ce charme d’émotions naïves qui nous attendrit aux adieux d’Hector et d’Andromaque. Voici comment est raconté le moment où Rama se sépare de son père, qui l’a banni à regret, et dont le cœur est déchiré par cet exil. Le vieux roi a suivi son fils à pied, accompagné de la mère de Rama ; tous deux poussent d’amers gémissemens. Rama, ne pouvant souffrir plus long-temps ce cruel spectacle et voulant épargner à son père les déchiremens d’une douleur inutile, après avoir jeté à ses vieux parens un dernier regard de tendresse, dit à celui qui guide son char de presser le pas des chevaux. « Alors Rama vit sa misérable mère élevant les bras, gémissant comme une brebis, et chancelant sur la route. Le vieux roi criait au cocher : Arrête-toi. Rama lui disait : Continue d’avancer. Le cocher était comme un homme qui serait suspendu entre le ciel et la terre. Rama lui disait : « Plus cette douleur se prolonge, plus elle est cruelle. Quand tu reverras le roi, tu lui diras : Je n’ai pas entendu ta voix. » Et Sumantra, ayant connu la volonté de Rama, après avoir salué tristement le roi, poussa les chevaux en avant… Alors les brahmanes dirent au roi : « Maintenant tu dois cesser de suivre celui que tu désires revoir un