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nouveautés hardies et superficielles qu’on pouvait attendre le commencement d’une réforme nécessaire.

Sous le règne de Louis XV, à peine quelques-uns de ceux qui prennent part aux affaires songent-ils fugitivement à la possibilité de modifier le régime établi. L’idée de l’amélioration reste constamment étrangère au pouvoir. Jamais le gouvernement n’a moins pensé à s’amender que dans ce temps où la société se préparait à le renouveler. Ce n’est guère que dans les ouvrages et les mémoires peu connus de d’Argenson, celui que les beaux esprits du temps appelaient, apparemment pour cette raison, d’Argenson la bête, que l’on trouve une préoccupation sérieuse des vices de la constitution et de la nécessité d’expulser l’arbitraire qui a successivement tout envahi ; mais son influence fut médiocre et passagère. M. de Choiseul crut de sa politique d’entretenir de bonnes relations avec le parlement, mais n’a jamais donné la plus faible espérance d’une rénovation constitutionnelle. Un détestable esprit de changement, qui n’était que l’impatience de la contradiction, inspira bien ses successeurs, et le chancelier Maupeou crut reprendre la tradition de Richelieu et de Louis XIV en délivrant la couronne de la résistance irritante des compagnies judiciaires ; mais cette prétendue réforme ne fut que le coup d’état de la tyrannie et la fondation solennelle d’un abus. A aucun moment, le règne de Louis XV ne laissa même obscurément poindre l’espoir d’une amélioration politique. Soixante années s’écoulèrent sans une mesure, sans une pensée suivie de gouvernement empreinte de patriotisme, de prévoyance ou d’honnêteté. Soixante années s’écoulèrent dans la routine, l’indifférence, la dissipation et l’arbitraire ; je ne crois pas que pareil malheur soit jamais advenu à une nation civilisée au degré où l’était la France. Quel héritage cet indigne gouvernement laissait-il à l’infortuné successeur de Henri IV et de Louis XIV !

Dès le premier jour du règne de Louis XVI, l’idée d’un changement fut dans tous les esprits. Quel changement ? on l’ignorait. La question était neuve et difficile ; on pouvait hésiter. Il y eut des réformateurs à tous les degrés ; mais l’impossibilité du statu quo fut unanimement aperçue. La royauté même se trouva mal à l’aise sur le lit effronté où l’avait étendue un demi-siècle de désordre. Elle eut, comme on l’a dit dans une plaisanterie profonde, le sentiment intérieur qu’elle devenait un abus, et qu’il fallait cesser de l’être. Louis XVI conçut vaguement le besoin d’une nouvelle manière de régner. L’opinion publique parvint jusqu’à lui. Plus puissant que l’orgueil du pouvoir héréditaire, plus fort que la timidité d’un caractère incertain, l’instinct confus et rapide de sa situation le conduisit, malgré mille obstacles, à travers bien des doutes et bien des retours, à suivre au dedans la politique de Turgot, au dehors celle de Lafayette.