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faisait du théâtre une partie importante de la littérature, une préoccupation constante de la société polie. Les applaudissemens avaient alors toute leur valeur, parce qu’ils n’étaient donnés qu’avec discernement et mesure. Les arrêts de la critique avaient un sens, parce que ses rigueurs ou ses complaisances étaient soumises au contrôle du vrai public, dont elle était forcée de respecter l’opinion, sous peine de déchéance. Aujourd’hui, qui pourrait ranimer ces traditions à demi effacées ? Qui pourrait rétablir cette solidarité intelligente entre les auteurs et leurs juges ?

L’Odéon, avant de fermer ses portes, a donné, coup sur coup, une multitude de.pièces nouvelles, comédies, tragédies, drames, comédies et tragédies surtout, car ces deux formes de l’art semblent avoir aujourd’hui un attrait particulier pour les deux générations qui aspirent, l’une trop tôt, l’autre trop tard, aux succès dramatiques. C’est à la comédie que visent de préférence nos jeunes auteurs : or, pour écrire la comédie, il faut avoir vécu ; ce n’est pas dans les rêveries de l’adolescence, dans les espiègleries et les enfantillages d’une verve qui s’essaie, qu’on peut trouver ce trésor d’observations, cette connaissance approfondie de l’humanité, cet art de réunir en un seul type mille traits épars et patiemment recueillis, auxiliaires indispensables au génie du poète comique. Aussi, que rencontre-t-on presque toujours dans les plus remarquables de ces tentatives ? D’heureux détails, des velléités d’élégance et de fantaisie, l’ingénieux développement de quelque délicat paradoxe ; rien de plus. Au lieu d’entrer profondément dans un sujet, de serrer de près l’homme, cet éternel et inépuisable modèle, l’inspiration se joue alentour avec une sorte de grace aimable, mais enfantine on sourit et l’on passe outre.

Si les essais de comédie nouvelle offrent tous les défauts de la jeunesse, nous n’adresserons pas le même reproche aux tragédies que nous voyons reparaître, de temps à autre, à la surface de notre littérature, comme les débris d’un naufrage rapidement emportés vers l’oubli. Nous ne prétendons pas réveiller ici d’anciennes querelles, ni surtout proscrire une forme qui nous a valu, sous la main de nos grands poètes, de si magnifiques chefs-d’œuvre : c’est peut-être parce qu’elle offrait à leur génie plus de difficultés et d’entraves qu’ils ont trouvé dans la lutte un emploi plus complet et plus éclatant de leurs forces. Mais aujourd’hui la question n’est plus là ; l’art nouveau, en brisant ce vieux moule, a condamné ceux qui voudraient s’en servir encore à recomposer leurs figures avec ces morceaux et des débris. La tragédie, si j’ose ainsi parler, ne peut plus produire que des ouvres posthumes. Si nous voyons un artiste sincère s’obstiner encore dans cette voie, nous pouvons rendre hommage à ce que son œuvre révélera d’inspiration réelle ou de consciencieuses études ; mais nous devons être sans pitié pour ces tragédies à la suite, accourues de tous les points de la France, comme ces courtisans de l’ancien régime, qui affluaient à Paris le lendemain des restaurations ; couvres sans portée, sans avenir, où nous pouvons signaler encore ce caractère de vieillesse enfantine dont je parlais tout à l’heure. Nos théâtres pourraient jouer chaque année trente ouvrages du même genre, sans qu’il y eût profit pour personne, sans que la critique y trouvât les élémens d’une discussion instructive. Substituer une formalité à une lutte, remplacer les émotions d’une victoire disputée par des applaudissemens prévus qui ressemblent à un cérémonial plutôt qu’à une récompense, telle doit être, à la longue, la