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un peu aussi sur le nom du jeune auteur, à me trouver face à face avec un talent hardi, téméraire, un peu tapageur, ayant même cette pointe d’insolence et d’étourderie qui donnèrent tant de charme aux débuts poétiques d’Alfred de Musset. Au lieu de cela, ces Péchés de Jeunesse ne m’ont offert qu’un pastiche assez pâle de nos poètes, combiné avec une sagesse inquiétante. Se montrer si raisonnable n’est vraiment pas de bon augure. Les éternelles comparaisons de l’amour et de la prière, de l’ange et de la femme, de la fleur et de l’ame, toute cette poétique des Feuilles d’Automne et des Voix intérieures, reparaissent dans ce recueil, et défraient la partie élégiaque. Un reflet fort affaibli des Contes d’Espagne et d’Italie, voilà pour la partie amoureuse et cavalière. L’inspiration personnelle de l’auteur ne se manifeste que dans une pièce adressée à son père pendant un procès. Rien assurément de plus légitime, ou du moins de plus naturel que le filial enthousiasme de M. Dumas ; mais cet enthousiasme ne parait pas lui porter bonheur, lorsqu’il dit à son père de continuer à couler comme un vieux fleuve, sans doute pour abreuver les générations dévorées de la soif du feuilleton. Métaphore pour métaphore, j’aime encore mieux l’astre éclatant de Lefranc de Pompignan.

M. Dumas fils s’indigne, non sans raison, contre les hautaines et dédaigneuses paroles qui sont tombées, à cette occasion, de la tribune : nous croyons en effet que ces paroles étaient intempestives ; mais à qui la faute ? Si nos hommes de lettres, si nos écrivains célèbres se respectaient un peu plus eux-mêmes, à coup sûr on les respecterait davantage. Notre époque présente de bizarres anomalies elle a rapproché, Dieu merci, toutes les distances, effacé les distinctions de caste, proclamé la souveraineté de l’intelligence, et cependant jamais les artistes, les gens de lettres n’ont été parqués, pour ainsi dire, d’une façon plus évidente. Pourquoi cet isolement ? La littérature n’est-elle pas l’emploi le plus honorable des facultés de l’esprit ? Pourquoi si peu de nos illustres réussissent-ils à se faire prendre au sérieux par les hommes graves ? pourquoi semblent-ils des amuseurs et non des maîtres, des aventuriers et non des combattans ? C’est qu’ils ont eux-mêmes travaillé à se faire cette réputation dont ils se plaignent, à établir ces préventions qui les froissent. Au lieu de devenir les hommes d’une idée, d’une société, d’un temps, ils ont mieux aimé rester les hommes d’une coterie, s’entourer d’adulateurs, s’étourdir du bruit de leur renommée. Ils ont refusé d’accepter les conseils de la critique, les avertissemens du monde, et cet échange d’enseignemens et d’aperçus, qui est à la vie de l’intelligence ce que le commerce est à la vie matérielle. Peu à peu la société a cessé de les compter parmi ses forces véritables ; elle s’est divertie de leurs caprices, de leurs manies, de leurs équipées, comme elle se divertissait de leurs livres. Elle s’est accoutumée à voir en eux des êtres fantastiques comme leurs romans, invraisemblables comme leurs héros. Telle est la situation ; elle est triste, car elle compromet à la fois la littérature et les lettrés, les artistes et l’art ; elle contribue plus que tout le reste au gaspillage, à l’avortement de tant de facultés brillantes. Que nos écrivains consentent enfin à entrer dans le sérieux de l’intelligence, dans le sérieux de la vie ; qu’ils renoncent à ces factices jouissances d’une vanité puérile, à ces stériles louanges d’un cercle complaisant dont ils sont le centre, et qui, en les élevant au rang des dieux, les empêche d’être vraiment des hommes. Que, détrompés enfin sur la valeur de ces éloges, ils reconnaissent tout ce qu’il y a de faiblesse à les