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inondations est dans les pluies annuelles d’Abyssinie. Cette cause avait été soupçonnée par Ératosthène et par Agatarchides ; Homère même paraît l’avoir connue. La périodicité de ces pluies, dont l’époque correspond à la mousson du sud-ouest, est probablement liée à la périodicité des vents alizés.

Athénée et saint Grégoire de Nazianze donnent au Nil l’épithète de chrysorroas (qui roule de l’or). Cette appellation doit-elle être prise au figuré, ou le Nil roulait-il réellement de l’or dans ses eaux comme tant d’autres fleuves, sans parler du Pactole, comme le Gange, le Tage, le Rhône, le Volga et le Rhin ? Ce qui est certain, c’est qu’on trouve de l’or natif dans la Haute-Nubie. Ce précieux métal semble y avoir été exploité très anciennement ; le nom même de la Nubie est le nom égyptien de l’or, noub. A-t-on trouvé jamais de l’or dans la Basse-Égypte ? en a-t-on jamais recueilli à l’extrémité inférieure du Nil ? C’est ce que semblerait indiquer le nom de Canope donné à une ville voisine d’Alexandrie, nom qui signifiait bien certainement le pays de l’or.

Le Nil est le seul grand fleuve du monde dont la source soit encore inconnue. Sine teste creatus, a dit Claudien. En dépit des nombreuses découvertes de la géographie, le Nil a conservé le mystère de son origine. Cette singularité a frappé les imaginations des anciens et des modernes depuis Ovide, qui suppose que le fleuve, épouvanté de l’incendie dont la chute de Phaéton menaçait le monde, s’était allé cacher aux extrémités de la terre, jusqu’au Bernin, qui, toujours ingénieux, a enveloppé la tête du Nil d’un voile. Je ressens à mon tour une certaine émotion en me disant : Cette eau qui me porte vient d’une région, où nul n’a pénétré ; elle a réfléchi des rives que l’œil d’aucun mortel n’a contemplées. Et moi, si je remontais toujours plus haut, j’arriverais enfin à ce pays inconnu. En se laissant aller à ces réflexions, on s’étonne que le problème des sources du Nil ne soit pas encore résolu, malgré toutes les tentatives faites pendant trente siècles, depuis Sésostris jusqu’à Méhémet-Ali. Il y a là un défi porté à notre siècle explorateur, une bravade du passé. Du reste, il s’en est peu fallu que, de nos jours, un Français n’eût l’honneur de pénétrer jusqu’aux sources du Nil ; M. d’Arnaud a remonté au quatrième degré de latitude nord, et, malgré des difficultés de tout genre, voulait remonter plus haut. Cette exploration a présenté plus d’un résultat curieux. On a fini par trouver d’immenses marais comme ceux que rencontra l’expédition envoyée par Néron. Et sur la route que d’épisodes étranges ! Ici de véritables amazones ; là un roi auprès duquel on ne pénètre que dans une circonstance, quand il s’agit de l’étrangler. Si ces récits nous étaient arrivés au moyen-âge, on les rangerait avec les traditions fabuleuses sur le prêtre Jean.

L’expédition de M. d’Arnaud s’est faite sur le Nil Blanc, qui est le véritable