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L’ame semble flotter doucement dans le vide
Quand la barque traînée avance d’un pas lent ;
Le jour désoccupé coule pourtant rapide,
Comme le long du bord l’eau coule en gazouillant.

La nuit vient, le vent tombe, on s’abrite au rivage ;
Long-temps des matelots bruit le chant distord ;
Puis tout cesse, on n’entend qu’un cri triste et sauvage,
On charge les fusils, on se ferme, on s’endort,

Ou l’on veille écoutant le silence des plaines,
La voix du pélican qui s’éveille à demi,
Le chien qui jappe au seuil des cabanes lointaines,
Les murmures confus du grand fleuve endormi.

Je ne connaissais pas ces nuits étincelantes
Où l’argent fondu roule en fleuve au firmament,
Où brillent dans les flots les étoiles tremblantes,
Comme rayonnerait sous l’onde un diamant.

Cependant du sommeil on consume les heures
A contempler le cours lent et silencieux
Des mondes où pour l’ame on rêve des demeures,
Hiéroglyphes brillans des mystères des cieux.

Et des astres nouveaux, inconnus à l’Europe,
Versent pour nous leurs feux dans le champ sidéral.
Au sud, où resplendit l’étoile de Canope,
Nous regardons monter la croix du ciel austral.

Et puis il faut saisir à sa première flamme
Ce soleil qui dans l’air fait chanter les oiseaux,
Qui fait dans notre sein chanter aussi notre ame,
Et rire la lumière à la face des eaux.

Quand le soleil penchant aux sommets luit encore,
Sur le bord de la barque il faut aller s’asseoir,
Voir le ciel qui blanchit comme ailleurs par l’aurore,
Et respirer à deux la pureté du soir.

Tout est beau sur le Nil, chaque heure a son prestige,
Ce monotone cours semble toujours nouveau ;
Le Nil mystérieux lui-même est un prodige ;
Nous voyons le géant, nul n’a vu le berceau.

Ce fleuve est fils du ciel, comme le dit Homère,
On le trouve plus vaste en remontant son cours ;
Seul il n’emprunte rien aux sources de la terre,
Seul il ne reçoit rien, seul il donne toujours.