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marcher un peu. Le but est loin ; allez plus vite si vous voulez arriver les premiers. » Celui-là les empêche de marcher vers le bien, en leur persuadant qu’ils le touchent ; celui-ci met en jeu le seul ressort capable de les faire arriver tôt ou tard… » Et la même plume qui en usait si cavalièrement avec Ferdinand VII continue ainsi de dérouler en toute sincérité sur ce thème les mille et une circonstances atténuantes qui le recommandent à l’indulgence du public. Et c’est à la veille d’une révolution, je me trompe, après deux manifestations successives de la forme révolutionnaire, — après 1812 et 1820, — que Larra, pour se rendre acceptable à ses lecteurs, se voyait réduit à user de correctifs pareils ! Vous figurez-vous d’ici Voltaire et les publicistes du XVIIIe siècle, ou mieux encore les orateurs de l’assemblée constituante condamnés à solliciter la tolérance de l’opinion pour les idées qui enfantèrent l’immortelle nuit du 4 août ? Je n’opposerai pas autre chose à cette manie puérile d’assimilations qui, à toutes les phases du travail social de l’Espagne, s’obstine à chercher un précédent français l’Espagne de 1832 se trouvait encore à ce point de ne pouvoir entendre sans protestation, ou du moins sans surprise, des vérités qui, pour la France de 89, étaient en quelque sorte depuis trois siècles, depuis Montaigne et Rabelais, des lieux communs de l’esprit national. Est-ce à dire que l’Espagne a dix générations à franchir pour nous atteindre ? Non. Le gouvernement, à défaut de l’opinion, se voit irrésistiblement conduit, je le répète, à personnifier, au-delà des Pyrénées, la théorie révolutionnaire, et les révolutions qui viennent d’en haut sont plus promptes. Elles commencent par où les autres s’achèvent, par le pouvoir. Le gouvernement a d’ailleurs ici deux puissans auxiliaires : le journalisme et le système parlementaire, dont la pratique habitue peu à peu acteurs et public aux axiomes anglo-français qui en sont le formulaire habituel. L’Espagne, et c’est là une des plus curieuses contradictions de l’esprit péninsulaire, s’accommode très bien de ces contrefaçons de l’étranger, à condition que l’étranger feindra de ne pas s’en apercevoir. Ce nationalisme intolérant qui bondit au seul mot d’influence française copie servilement, depuis nos modes et nos vaudevilles jusqu’à nos autorités historiques et nos classifications de parti, toutes les manifestations de la vie extérieure de la France, — tout hormis les conditions morales dont elles sont le reflet. Ici, comme dans les rapports de l’individu à l’état, le génie espagnol ne perçoit que le côté palpable des choses. Cela est si vrai, qu’il n’y a pas de terme, par exemple, chez nos voisins, qui réponde à l’acception psychologique du mot moeurs : l’espagnol traduit moeurs par costumbres, coutumes, habitudes, reproduction de tel fait matériel. Ces emprunts superficiels, adaptés tant bien que mal à l’archaïsme batueco, ont dû produire, on le conçoit, des accouplemens heurtés, de baroques incohérences que