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et noirs, auraient quelquefois plusieurs centaines de pieds carrés en surface sur quinze à vingt pieds d’épaisseur.

En parcourant des lieux dont l’aspect seul impressionne si profondément, en songeant aux scènes terribles dont ils ont été, dont ils peuvent à chaque instant devenir le théâtre, en réfléchissant aux effrayans phénomènes dont ils sont le siège permanent, l’esprit humain ne pouvait s’en tenir à une tranquille et froide observation. Aussi a-t-il voulu de tout temps se rendre compte de ce qui se passe au sein de la redoutable montagne, et pendant des siècles, faute de pouvoir mieux faire, il eut recours aux explications surnaturelles. Pour les peuples de l’antiquité, Encelade foudroyé gémit sous le mont qui l’écrase ; ces flammes dévorantes sont le souffle qui sort de sa poitrine ; ces tremblemens de terre sont dus aux efforts convulsifs du géant, qui secoue la Sicile entière. Pour les chrétiens du moyen-âge, l’Etna devient un des soupiraux de l’enfer, et aujourd’hui encore plus d’un montagnard entend sortir de ses entrailles les cris de désespoir des damnés, mêlés aux rugissemens des démons. La science moderne aborde à son tour le problème, et, toujours appuyée sur l’expérience et l’observation, elle semble bien près de l’avoir résolu[1].

En voyant l’Etna vomir à chaque éruption des quantités si considérables de laves, de cendres, de scories, on a dû être conduit à regarder son massif tout entier comme n’ayant pas d’autre origine que l’accumulation successive de ces matériaux. Cette théorie, dont on trouve des traces jusque chez les philosophes grecs, a long-temps régné sans partage et compte encore aujourd’hui parmi les géologues des défenseurs d’un grand mérite. Cependant l’aspect seul de la montagne devait à lui seul faire naître des doutes sur la vérité de cette explication. Les talus formés par l’entassement de matériaux mobiles, obéissant librement aux lois de la pesanteur, présentent tous dans leurs contours des lignes droites et régulières. Les talus latéraux, le cône terminal de l’Etna, les cônes parasites, si nombreux sur les flancs de cette montagne, possèdent à un haut degré ce caractère de régularité. Chez les plus anciens de ces cônes, chez ceux que depuis des siècles les agens atmosphériques et surtout les pluies torrentielles tendent sans cesse à dégrader, les pentes ont pu diminuer, surtout à la base ;

  1. La théorie de l’Etna a soulevé de vives controverses parmi les savans qui se sont occupés de cette question géologique. Nous suivrons ici les idées que M. Élie de Beaumont a émises dans le mémoire déjà cité. Ce choix est facile à justifier. M. de Beaumont a le premier reconnu un grand nombre de faits importuns qui résultent de l’examen de l’Etna, et qui avaient échappé à ses prédécesseurs. Ce que nous avons vu concorde pleinement avec les observations de ce géologue, avec les déductions qu’il en a tirées. Enfin l’ouvrage de M. Sartorius de Waltershausen vient encore confirmer l’exactitude de ces observations, et justifier par conséquent les théories qui seules jusqu’à ce moment ont pu rendre compte de l’ensemble des phénomènes.