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Une fois nanti de son vote de confiance, pensez-vous que le ministère va mettre au moins à profit la docilité désormais bien constatée des cortès ? Pas encore : toute ombre d’action l’effraie. Cette confiance qu’il a sollicitée et obtenue, son premier soin est de n’en pas faire usage.

En présentant son projet de réforme électorale, il déclare gratuitement qu’il n’en fait pas une question de cabinet, et qu’il acceptera toute espèce de modification. Que s’ensuit-il ? Les contre-projets surgissent en foule, finalement rien n’est adopté, et le ministère est obligé de convoquer d’autres cortès, auxquelles sera de nouveau dévolue la tâche de détruire la loi électorale en vertu de laquelle elles seront élues cortès.

Larra, qui ne perd aucune occasion de s’égayer sur la fiction constitutionnelle, salue d’une dernière raillerie cette malheureuse loi. Je cite ce passage, moins pour l’idée, qui, chez nous, serait banale, fausse même à quelques égards, que pour la forme, qui est caractéristique. Qu’il y a loin du courroux sonore et creux de nos réformistes à cette perfide et tolérante bonhomie du pamphlétaire espagnol, qui daigne ne pas nous mettre le couteau à la gorge, qui veut bien ne pas nous convertir de force et se contente de nous laisser douter entre deux sourires !


« … Les élus devront donc avoir douze mille réaux de rente : grande garantie de lumières ! Si peu que vaille un réal dans ces temps-ci, il n’y a pas de réal qui ne vaille une idée, sans compter l’infinité d’idées de notre connaissance qui ne valaient pas un réal, et sans compter aussi les circonstances diverses où l’on donnerait toutes ses idées pour moins d’un réal. Il est toujours bon qu’il y ait dans l’estamento des réaux pour le cas où il n’y aurait pas d’idées. Tant mieux s’il y a l’un et l’autre.

« La condition de trente ans d’âge n’est pas moins importante ; le nombre trente n’est pas moins symbolique et cabalistique que le nombre trois tant cité, et dont il est décuple. Trente jours a le mois, trente minutes chaque demi-heure, pour trente deniers Judas vendit un Dieu, trente ans sont la vie d’un joueur, et trente ans enfin, la capacité d’un procurador. Beaucoup de philosophes ont cru qu’au moment où l’homme naît, l’Être suprême, qui se tient à ses fourneaux, lui insuffle l’ame par le procédé dont use le verrier pour donner la forme à une bouteille ; mais ce n’est là que l’ame et non la capacité et la faculté de faire des lois. Cet autre je ne sais quoi, le Créateur l’introduit en nous le matin où nous accomplissons trente ans, au petit point du jour, de même qu’il nous a communiqué l’aptitude légale et la majorité à vingt-cinq. O toi, Andres, qui n’as pas encore trente ans, guette bien le jour où tu les accompliras, et écris-moi pour ma gouverne ce qu’en ce jour tu auras senti ; dis-moi par où entre la capacité et vers quel endroit de ta personne elle se loge. Prévenu à temps des symptômes qui l’annoncent, je pourrai faire à la mienne, le jour où elle descendra en moi, la réception due à une si illustre visiteuse. Quand aurons-nous trente ans ! Sais-tu bien que, ce jour-là, nous serons déjà de petits hommes ?

« On a bien vu des hommes discourir avant trente ans, mais ce sont là des phénomènes prodigieux, de rares exemples d’une précocité inouïe, et quant à Pitt et autres de son espèce, ministres bien avant ce terme, il est impossible de