dans leur mère. Arrachez-leur ce fiel, et vous les rendez plus doux que mauves. Voilà, dis-je, ce que l’expérience a prouvé, vu que, des suites de la chose, l’autre (Cabrera) n’en a fusillé que trente. Qui sait combien davantage il en eût fusillé s’il avait encore eu sa mère ! Le fait est que les femmes sont le seul obstacle à la prospérité de l’Espagne, et, tant que nous n’en finirons pas avec elles, il ne faut espérer ni trêve ni repos. Quant aux soeurs, comme elles étaient mariées à des gardes nationaux, la moitié de la fusillade revenait de droit à ceux de là-bas et l’autre moitié à ceux d’ici ; mais nous, plus alertes, nous avons prestement fusillé le tout. Bienheureux sont, en temps de héros, les enfans-trouvés, car ils n’ont ni père ni mère qu’on leur fusille ! »
Un écrivain qui débuta en même temps que Larra, M. Mesonero, a aussi abordé le pamphlet, mais accidentellement et comme complément de piquantes esquisses de la vie madrilègne, qui l’ont placé, sous le pseudonyme du curioso parlante, non loin de Cervantes et de Quevedo. Quelques chapitres de son Panorama matritense, entre autres la politicomanie, où il a saisi très heureusement la physionomie de ce public bavard et crédule qui ressuscite au-delà des Pyrénées, avec un sérieux plus naïf toutefois, la race éteinte de nos nouvellistes du Palais-Royal ; l’Étranger dans sa patrie, le Retour de Paris, où il nous montre la lutte des vieilles mœurs contre l’imitation française ; divers traits semés çà et là dans ses autres cadres font regretter que M. Mesonero n’ait pas tenté de plus larges trouées dans cette mine féconde. Comme l’auteur du pobrecito Hablador, qu’il rappelle ici, et par la forme et par le choix des sujets, il n’effleure que le côté typique, moral, abstraction faite des événemens du jour. Sous les pseudonymes d’Abenamar et de l’Estudiante, MM. Santos Lopez Pelegrin et Segovia ont publié plus tard quelques études semi-politiques, semi-littéraires, où apparaît, dans les bons momens, l’entrain humoristique de Larra, moins la saillie traîtresse et imprévue. Mais c’est à M. Lafuente, l’auteur du Fray Gerundio, que revient sans conteste la vice-royauté du pamphlet.
Le Fray Gerundio, petit cahier hebdomadaire mal imprimé sur un papier grisâtre, a joui, de 1837 à 1842, d’une vogue colossale qui s’est étendue jusqu’au public manolo, le plus difficile et le plus blasé des publics. C’est un dialogue continu entre le frère Géronte, un moine plein de sens et d’expérience, et le frère pourvoyeur du couvent, le naïf Tirabeque, charmant type de niais exhumé de la vieille comédie. Les colonels retraités, les veuves de généraux, les religieuses décloîtrées, tout ce peuple de faméliques pensionnaires de l’état qui s’est réfugié à Madrid ; les non-sens parlementaires, les bévues des journaux, les bulletins des armées du nord et du centre, qui ont fait mourir trois ou quatre fois la population de l’Espagne ; l’officier bravache et son épée vierge, les grands hommes d’un quart d’heure et les célébrités inexpliquées, tout passe au tamis d’une causerie vulgaire, bourgeoise et par cela même à la portée du plus candide batueco. La saillie se fait bien un peu