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l’ode qu’il imite avant même d’être arrivé jusqu’à l’endroit où elle finit pour nous. Au reste, la prétendue traduction de Boileau s’éloigne beaucoup plus de l’original que l’imitation libre de Catulle[1].

L’autre grande pièce qui nous est restée de Sappho est cette belle ode à Vénus. Quoiqu’elle n’ait pas eu si souvent que l’ode à une femme aimée les honneurs de la traduction, elle n’est pas moins admirable.


A APHRODITE.

« Immortelle Aphrodite, au trône brillant, fille de Jupiter, savante en artifices, je te supplie, n’accable pas mon ame de dégoûts et d’ennuis, ô déesse !

« Mais viens à moi, si jamais en d’autres temps, écoutant mes instantes prières, tu les exauças, et, laissant la demeure de ton père, tu vins, ayant attelé

« Ton char doré ; et de beaux moineaux agiles, faisant tourbillonner autour de la terre brune leurs ailes rapides, te trairaient du haut du ciel à travers les airs.

« En un instant, ils arrivèrent ; et toi, ô bienheureuse ! ayant souri de ton visage immortel, tu me demandais ce qui causait ma peine, et pourquoi je t’appelais,

« Et quels étaient les vœux ardens de mon ame en délire

« Qui veux-tu de nouveau que j’amène et que j’enlace dans ton amour ? Quel est celui qui t’outrage, ô Sappho ?

« Car, s’il te fuit, bientôt il te poursuivra : s’il refuse tes présens, il t’en offrira ; s’il ne t’aime pas, il t’aimera, même quand tu ne le voudrais plus.

« O déesse ! viens à moi encore aujourd’hui ! Délivre-moi de mes peines cruelles ; et tout ce que mon cœur brûle de voir accompli, accomplis-le, et sois toi-même mon alliée !


Est-il une prière plus instante, plus irrésistible ? Et comme la grace de la poésie se mêle avec la passion, sans la distraire ! Comme Sappho a soin de rappeler, avec la première assistance qu’elle a reçue de la déesse, le beau sourire de son visage immortel et tout ensemble la promesse

  1. Heureux qui près de toi pour toi seule soupire,
    Qui jouit du plaisir de t’entendre parler,
    Qui te voit quelquefois doucement lui sourire ;
    Les dieux dans son bonheur peuvent-ils l’égaler ?

    Je sens de veine en veine une subtile flamme
    Courir par tout mon corps sitôt que je te vois,
    Et, dans les doux transports où s’égare mon ame,
    Je ne saurais trouver de langue ni de voix.

    Un nuage confus se répand sur ma vue,
    Je n’entends plus, je tombe en de douces langueurs ;
    Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue,
    Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs.

    Que de mots ajoutés au texte et contraires au sens ! – Delille a rétréci les vers de Boileau et y a mêlé des incorrections. — Voltaire aussi a imité plusieurs fois cette ode.<:poem>