Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

science, M. le duc de Caraman, sans se demander si une histoire générale de la philosophie du moyen-âge n’était pas un peu prématurée, s’est jeté avec ardeur dans les périls de cette entreprise[1]. Une tentative encore plus vaste, l’histoire entière de la philosophie, avait été commencée parle savant et regrettable M. de Gérando. La mort l’avait arrêté à moitié chemin ; mais un noble sentiment de piété filiale vient au secours de nos regrets, et nous donne l’utile complément de l’œuvre interrompue[2]. Les deux volumes publiés aujourd’hui par le digne héritier du nom et des lumières de M. de Gérando nous conduisent jusqu’à Spinoza ; les deux qui restent à paraître atteindront les premières années de notre siècle.

Ce siècle est à peine arrivé à la moitié de son cours, et sa philosophie a déjà des historiens, des critiques, qui ressemblent trop souvent à des détracteurs. M. l’abbé de Valroger lance un gros volume contre le rationalisme contemporain[3]. C’est toujours ce même fantôme épouvantable que d’autres pieux écrivains évoquent sous le nom de panthéisme. M. Armand Fresneau s’engage dans cette croisade sainte, et le premier gage que donne au clergé ce jeune et ingrat nourrisson de l’Université est une petite brochure contre l’éclectisme[4] ; mais nous voilà descendus des calmes régions de la science sur le terrain de la polémique : laissons là les pamphlets et revenons à l’histoire.

Tout le monde s’accorde, amis et ennemis, à faire honneur à M. Cousin de l’impulsion heureuse et puissante qu’a reçue de nos jours l’histoire de la philosophie. Au moment où se publient pour la troisième fois ces leçons fameuses[5], dont près de vingt années n’ont pu effacer le souvenir, il faut rendre à l’illustre écrivain ce témoignage, que tous les grands travaux qui ont ranimé sous nos yeux les plus belles époques de la pensée humaine, restauré tant de magnifiques monumens ; restitué tant de vastes systèmes, jeté dans le torrent de la circulation intellectuelle tant d’idées nobles et fécondes, remis en honneur les glorieux noms de Platon et d’Aristote, de Plotin et de Proclus, d’Abailard et de saint Thomas, de Vanini et de Bruno, de Malebranche et de Leibnitz, tout cet immense labeur de critique historique et de résurrection intelligente par où se distingue et s’honore notre siècle, tout cela date du mémorable enseignement de 1828 et 1829. C’est là que pour la première fois en France l’histoire de la philosophie a été rattachée à tous les mouvemens de la civilisation, aux phases diverses des institutions politiques et sociales, aux symboles changeans des cultes, à la formation progressive et à la lente décomposition des institutions religieuses, au développement des lettres et des arts, et jusqu’aux variations des climats ; c’est là aussi qu’a été tracé pour la première fois un cadre systématique de

  1. Histoire des révolutions de la Philosophie en France pendant le moyen-âge jusqu’au quinzième siècle, par M. le duc de Caraman, 3 vol. in-8o. Chez Ladrange.
  2. Histoire comparée des Systèmes de Philosophie, par M. de Gérando. Deuxième partie, 4 vol. in-8o. Chez Ladrange.
  3. Études critiques sur le rationalisme contemporain, par l’abbé de Valroger. Chez Lecoffre, rue du Vieux-Colombier, 29.
  4. L’Eclectisme, par Armand Fresneau. Au Comptoir des imprimeurs-unis, quai Malaquais, 15.
  5. Cours de l’histoire de la Philosophie moderne, par M. Cousin. Deuxième série, 3 vol. in-18. Chez Ladrange et Didier, quai des Augustins.