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voitures des cardinaux au moment où, pour, s’y rendre, elles passeraient sur le pont Saint-Ange. Le cardinal Corboli, dont le père est un des chefs du parti libéral, fut averti et ne se montra pas ; le cardinal Lambruschini jugea à propos d’aller faire une tournée pastorale dans son diocèse de Civita-Vecchia. En présence de ces manifestations, les libéraux modérés de Rome ont rédigé une adresse au pape, dans laquelle ils lui ont dit sans détour qu’il était entouré de conseillers qui paralysaient ses bonnes intentions, que les réformes accordées ne s’exécutaient point, et qu’il était temps de mettre un terme à une pareille situation. En deux jours, ce manifeste a été couvert de cinq mille signatures ; il n’a pas encore été présenté à Pie IX ; quand même il ne le serait pas, il n’en aura pas moins produit un excellent effet, car il a calmé le peuple, et cette manifestation régulière de l’opinion publique a frappé d’une sorte de stupeur le parti rétrograde, qui ne s’attendait pas à cet accord entre les vœux du peuple et ceux des libéraux modérés. C’est alors que le pape a convoqué un conseil extraordinaire, auquel assistaient les princes Borghèse, Barberini, Rospigliosi et Gabrielli. Le gouvernement s’est décidé à ne pas refuser plus long-temps l’institution de la garde nationale, qui était vivement réclamée par la population. Plusieurs dispositions du décret, qui a dû paraître il y a quelques jours, ont été empruntées à la loi française. Les grades inférieurs jusqu’à celui de capitaine seront à l’élection des compagnies. Les autres grades seront conférés par le gouvernement. Cette mesure sera très utile à la ville de Rome. Elle donnera des habitudes d’ordre et de discipline au peuple, qui d’ailleurs, dans ces momens de crise, a montré une louable modération. On l’a vu obéir docilement à l’un des siens qui s’est donné le rôle de tribun. Angelo Brunetti harangue la populace et exerce sur elle une grande influence. C’est un de ces improvisateurs tels qu’on en rencontre souvent parmi les populations méridionales. C’est un autre Masaniello qui jusqu’à présent a sur son devancier le mérite de n’user de son autorité sur le peuple que pour lui prêcher l’ordre et le respect aux lois. Outre son éloquence, Angelo Brunetti a encore un autre genre d’influence ; il n’est pas sans argent : marchand de fourrage et de buis, il est assez riche pour changer quelquefois ses auditeurs en autant de convives. Chez un orateur populaire, voilà, pour capter l’auditoire, un moyen qui n’est pas sans puissance. C’est ainsi que Rome a traversé une crise périlleuse dans laquelle, au jugement de bons observateurs, il n’y a pas eu l’épaisseur d’un cheveu entre la contre-révolution et un coup d’état populaire. Les vœux de l’opinion ont été portés au pape par le comte Pianciani, qui lui a exposé avec une grande franchise le véritable état des choses, et paraît avoir produit sur l’esprit du vénérable pontife une impression profonde. Pie IX, Rome lui rend cette justice, est plein de bonne volonté et de douceur, il aime le bien ; mais il n’a pas toujours assez de fermeté et de décision. Souvent il manque du courage nécessaire pour éloigner des hommes notoirement contraires à ses vues. C’est ainsi qu’il court le risque, en ne voulant mécontenter personne, de mécontenter tout le monde. Pie IX a pu reconnaître cependant, surtout dans la dernière crise, que, s’il avait été plus sévère pour certains agens, il se serait épargné bien des embarras. Un réformateur a besoin d’énergie, et il doit savoir briser des instrumens dont il ne peut plus retirer aucun service. Pie IX ne saurait méconnaître ces conseils, ces exigences de la politique ; autrement il compromettrait son œuvre et l’honneur d’un règne si heureusement commencé.