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l’ordre d’aller chercher sur la route de Mexico un ennemi moins dangereux que la fièvre jaune. C’est le 16 avril dernier que cet ordre lui fut donné ; dix-huit jours s’étaient écoulés depuis la prise de Vera-Cruz.

A mesure qu’on s’éloigne de Vera-Cruz, à mesure qu’on s’élève au-dessus du niveau de la mer, on sent peu à peu la fraîche atmosphère des climats tempérés succéder aux ardeurs d’un ciel presque aussi brûlant que celui de l’Afrique. Le voyageur qui gravit de ce côté le versant du plateau mexicain est à chaque pas arrêté par les aspects variés d’une nature imposante et magnifique. Ces paysages si enchanteurs pour le touriste cachent aussi, il faut bien le dire, plus d’un défilé menaçant pour une armée en marche. Les Américains savaient qu’un de ces défilés réputé très dangereux, le Puente-National, avait été abandonné par l’ennemi. Les Mexicains avaient concentré tous leurs moyens de défense sur un passage plus périlleux encore, le Cerro-Gordo (la grande montagne). Ce passage, plus éloigné de Vera-Cruz que le Puente-Nacional, est à douze lieues de cette ville, entre Plan del Rio[1] et la venta de Lencero[2]. C’est sur ce point qu’allait se jouer une dernière fois la fortune du pays. La route gigantesque qu’ont ouverte les Espagnols de Vera-Cruz à Mexico traverse en cet endroit une gorge profonde. A gauche, elle longe deux montagnes hautes chacune de quatre cents pieds et séparées par un précipice ; à droite, elle est resserrée par trois autres montagnes de hauteur à peu près égale et qui dessinent comme un triangle sur le chemin. Celle des trois qui empiète le plus sur la route et qui est aussi la plus élevée se nomme le Cerro-Gordo. Ces hauteurs, tant à gauche qu’à droite, sont presque à pic, et on ne pourrait les gravir, si une végétation luxuriante n’en facilitait les abords. Il est impossible d’éviter ce défilé en tournant l’un ou l’autre groupe de cerros. D’un côté coule une rivière encaissée par d’autres montagnes ; de l’autre s’étendent de profonds précipices. L’armée américaine qui se dirigeait vers Mexico était donc forcée de s’engager dans cette gorge formidable, et c’est là que Santa-Anna résolut de l’attendre.

Le général avait de nouveau quitté Mexico, où sa présence autant que l’impression produite par les événemens de Vera-Cruz avaient mis fin aux luttes civiles. Il avait réuni sous son commandement toutes les forces militaires de la république, et semblait décidé à vaincre ou à succomber héroïquement sur les hauteurs de Cerro-Gordo. Les dispositions prises pour fortifier ces nouvelles Thermopyles faisaient honneur à son intelligence. Le Cerro-Gordo et les deux montagnes entre lesquelles il s’élève étaient couronnés de redoutes défendues

  1. d’une petite rivière qui, après avoir passé le long des hauteurs, coule en cet endroit sur un plan moins incliné.
  2. Le nom de cette venta est celui d’un soldat de l’armée de Cortez, qui l’établit.