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Espagne ; elle ne se produit que dans cette œuvre exceptionnelle : encore la Celestina est-elle moins une comédie qu’une nouvelle dialoguée qui se prolonge de scène en scène, d’acte en acte, au gré de l’invention de l’auteur. C’est l’enfance de l’art dramatique au-delà des Pyrénées, mais non l’enfance de l’art littéraire.

La comédie espagnole proprement dite, toute brillante de mérites d’un autre genre, n’a point ces fortes qualités d’étude morale ; elle approfondit moins qu’elle n’effleure, elle décrit plus qu’elle n’analyse. Ce n’est point à la logique des sentimens et des caractères qu’elle demande ses péripéties, c’est au hasard, à un caprice fortuit du cœur, à un entraînement soudain, à l’imprévu, qui est son dieu. Elle cherche la variété, accumule les incidens, multiplie les complications et répand sur tout une couleur de chevalerie merveilleuse. Il est peu de spectacles plus séduisans pour l’imagination que ce tourbillon rapide, ce monde gracieux et vivant de jeunes femmes qui se voilent à demi comme pour mieux attirer les cœurs après elles, de cavaliers étourdis et prodigues sans cesse au moment d’être amoureux et toujours prêts à tirer l’épée pour quelque dame inconnue qu’ils vont adorer, de mystérieux aventuriers qui aiment des princesses et finissent par dépouiller leur obscurité première pour monter au rang de ducs ou de princes à leur tour, de duègnes déliées et faciles qui savent compatir aux faiblesses d’amour et s’entendent si bien à conduire une intrigue, de valets bons compagnons, rusés, hardis, un peu fripons, dévoués au demeurant, qui partagent volontiers la fortune de leurs maîtres et se mettent de moitié dans leurs aventures, fidèles à leurs défaites comme à leurs victoires. C’est un tableau romanesque et charmant, plein de vivacité dramatique, de saillies, de gaieté éblouissante, d’ironie heureuse, mais où il n’entre rien d’amer contre l’homme ou la société. Il n’y a ni fiel ni haine ; tout au plus si le valet bouffon et observateur, élevé à l’école de Sancho, jette quelque mot d’un bon sens net et railleur qui rappelle que nous sommes sur cette pauvre terre et non dans une sphère idéale. Cette muse dont la fécondité s’est jouée en tant de combinaisons diverses n’a point soumis l’humanité à cette cruelle analyse, qui finit par nous mettre entre le rire et les larmes, et nous fait trouver au fond d’une idée comique la triste et tragique certitude de notre misère.

Lope de Vega est le vrai créateur de cette comédie d’intrigue qu’on a poétiquement appelée la comédie de cape et d’épée. C’est lui qui a porté cet esprit brillant et chevaleresque au théâtre ; mais, s’il a donné un nouvel essor à l’art de la comédie, il ne l’a point mené à sa perfection. Les œuvres de Calderon sont les plus merveilleux types d’originalité et de grace. Peintures enchanteresses, imprévu des situations, délicatesse des sentimens, tout semble marquer la place de ces productions, — la Dame fantôme (la Dama duende), les Matinées d’avril et