dans une pièce spirituelle et mordante, le Café, qui est une satire contre les comédies à la mode ainsi caractérisées par un des interlocuteurs : « … Ramassis confus d’événemens, action informe,… situations invraisemblables, épisodes décousus,… farces de lanterne magique,… style obscur, boursouflé, prétentieux, rocailleux et froid… » Il y a dans le Café un personnage digne d’attention, c’est don Eleuterio, l’auteur mis en scène et bafoué par Moratin. Don Eleuterio est le type de ces pourvoyeurs littéraires qui réduisent l’art au métier et se servent de la plume comme d’un outil vulgaire, — pauvre diable qui n’aspire au succès que pour gagner quelques réaux. L’auteur a voulu peindre sans doute la médiocrité plate et mendiante qui pullule dans les époques où le génie s’est éclipsé. La question est maintenant de savoir s’il n’y aurait pas une autre comédie plus bouffonne à faire avec les écrivains besoigneux et calculateurs qui se produisent dans des temps plus prospères, où il serait si aisé de concilier la dignité de l’art avec la recherche d’un profit légitime ; mais cette seconde comédie, Moratin ne l’aurait pu faire : il n’avait point sous les yeux ces modèles d’exploitation audacieuse. — Il y a quelque chose de triste dans la destinée de l’auteur de la Mogigata. Moratin avait une ame douce, calme et peu propre à supporter le choc des luttes publiques ; il avait voué sa fidélité à l’un des plus tristes héros de son temps, qui avait été son bienfaiteur, à don Manuel Godoy, et il fut enveloppé dans ses disgraces. Quand vint l’invasion de 1808, il s’était rallié au pouvoir créé par la France, et il fut emporté avec cette royauté éphémère. C’est dans le pays de Molière qu’il est venu mourir ; la fortune a donné la fin d’un proscrit à un poète comique. Après Moratin, c’est le XIXe siècle qui s’ouvre avec son esprit de révolution dans la littérature comme dans la politique.
Que voulons-nous faire en tout ceci, si ce n’est fixer la nature de l’élément comique tel qui il s’est produit au théâtre en Espagne, le dégager en quelque sorte du sein des faits et des mœurs, le suivre dans ses manifestations diverses, dans ses transformations, pour le retrouver ensuite au milieu de nous, vivant d’une nouvelle vie, s’alimentant encore de ces vices et de ces ridicules que le temps modifie, mais qu’il ne déracine pas ? Moratin est le dernier, l’unique représentant, dans des conditions sérieusement littéraires, de la comédie espagnole à la fin du XVIIIe siècle : à peine est-il mort qu’un mouvement de régénération commence, qu’un champ nouveau s’ouvre à la satire, à la muse de l’ironie. Il suffit de songer un instant au passé dramatique de l’Espagne pour ne point s’étonner que la comédie ait eu une si large part dans les essais de l’école moderne que des écrivains saisis d’un juste orgueil aient prétendu créer un art comique en rapport avec les mœurs nouvelles qui se formaient et soient entrés résolûment dans la voie que la liberté offrait à leur inspiration. Il y a une remarque à faire qui n’est