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monie, Emerson le sent vivement et le répand dans ses pages. On croit y surprendre le murmure de la moisson quand elle se courbe sous le vent, l’odeur du pin résineux, le bourdonnement des insectes. Il y a là vraiment un sentiment original ; la contemplation est pour le moraliste américain l’hygiène de l’ame. On a rappelé, à propos d’Emerson, le nom d’Obermann. Je ne crois pas qu’il y ait entre eux le moindre rapport. Emerson, fort de sa conviction morale, voit tout en bien et dit que la nature affirme toujours un optimisme, jamais un pessimisme. Obermann, tournant partout ses regards ennuyés, ne rencontre que lassitude et dégoût, comme un malade qui, voyant tout en jaune, affirmerait que sa perception est la seule vraie. L’un, plein de santé, est solitaire par force de caractère ; l’autre, languissant, phthisique, est solitaire par faiblesse de cœur et lâcheté morale.

La sympathie religieuse d’Emerson pour la nature se montre surtout dans ses poésies. Il s’en exhale comme un parfum de fleurs sauvages. Tous les bruits légers, toutes les notes confuses que le calme des forêts permet d’entendre, vibrent dans les paroles mélodieuses qu’Emerson adresse au vert silence des solitudes. Quelquefois, mais trop rarement, sa pensée joue avec le vent, erre dans l’espace, et va chercher dans les régions lointaines les pénétrans parfums d’Hafiz et de Saadi, ou les âpres odeurs des bruyères du Nord. Ordinairement ses vers ne traduisent qu’un seul sentiment, qu’un seul culte, celui de la solitude. Les personnages et les interlocuteurs du poète américain sont les arbres, les rochers, les nuages, qui semblent lui raconter les histoires des temps qu’ils ont vu s’envoler. Sous ces ombrages le sage a trouvé son Élysée, le puritain a trouvé son Éden biblique. Il y a de la lumière et de la couleur dans ses vers, mais c’est cette lumière qui n’appartient qu’aux solitudes sombres et aux bois épais, cette lumière que les Anglais expriment parfaitement par ces mots : Sunny woods, sunny groves (bois brillans de soleil). Ce mot, qui manque dans notre langue, me semble exprimer admirablement cette lumière qui, pénétrant dans les bois malgré le feuillage et l’ombre, s’y concentre et y séjourne dorée, paraît palpable et saisissable, et n’a rien de la blancheur de la lumière supérieure. Sunny solitudes, dit Emerson en s’adressant à ses bois chéris. Sunny soliloquies, pourrions-nous dire aussi des inspirations du philosophe et des rêveries du poète. Lui-même, en une de ses plus jolies pièces, trace le portrait d’un homme qui vit en quelque sorte dans l’intimité de la nature, et nous donne ainsi la personnification de sa muse.


« La science que cet homme regarde comme la meilleure semble fantastique aux autres hommes. Amant de toutes les choses vivantes, il s’étonne de tout ce qu’il rencontre, il s’étonne surtout de lui-même. — Qui pourrait lui dire ce qu’il est, et comment, dans ce nain humain, se rencontrent les éternités passées et futures ?

« J’ai connu un tel homme, un voyant des forêts, un ménestrel de l’année na-