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puissance, liberté. En lui nous connaissons toutes choses. Chaque nouvelle visite de l’ame suprême nous élève plus haut dans l’infini et brise le fini autour de nous. Arrivé à cette adoration de l’ame suprême, la lumière se fait pour l’individu, les temps disparaissent, et au lieu du passé et de l’avenir on n’a plus que le présent de l’éternité. Qu’est-ce que l’enthousiasme, l’inspiration ? C’est l’adoration, la terreur de l’esprit à l’approche de Dieu. « Les tressaillemens de Socrate, l’union de Plotin, la vision de Porphyre, la conversion de Paul, l’aurore de Boehme, les convulsions de George Fox et de ses quakers, l’illuminisme de Swedenborg, sont de ce genre. » Nous allons donc tomber dans le mysticisme ? Emerson s’arrête sur le bord. Ces visites de Dieu ne sont, à l’entendre, que la récompense que Dieu accorde à l’homme sage ; cette révélation individuelle est la grace qu’il envoie à l’ame simple et véridique qui accomplit son devoir sans s’inquiéter des usages du monde, « qui n’a pas de couleurs de rose, de beaux amis, de chevalerie et d’aventures ; » en d’autres termes, c’est la sanction religieuse de cette philosophie. Sous ce point de vue, la doctrine d’Emerson est belle et vraiment admirable. L’individu transporté dans l’infini par la présence de Dieu n’est pas poète, ni philosophe, ni homme religieux ; il est plus que tout cela : ses actions, ses pensées, sa vie tout entière, sont marquées d’un caractère d’éternité, sub specie œterni, comme dit Spinoza.

Le vrai sens de cette révélation individuelle, c’est d’être la récompense de la vie morale ; mais elle a aussi son origine historique, elle a sa source dans le protestantisme. Quelle est la base du christianisme ? C’est une révélation primitive faite par Dieu aux hommes. Cette révélation a été recueillie et a formé les dogmes et les croyances qui composent la religion ; elle s’est perpétuée par tradition et établie par l’autorité. Le protestantisme, ayant brisé la tradition et rejeté l’autorité, a sapé la base du christianisme, la révélation primitive. À la place de cette révélation, il en a établi une tout individuelle qui parle à l’homme constamment et guide non-seulement sa vie religieuse, mais sa vie sociale. De là une grande différence entre le mysticisme catholique et le mysticisme protestant, puritain surtout. Le mysticisme catholique cherche l’amour ; le mysticisme puritain cherche avant tout la vérité. Il a des tendances non-seulement philosophiques, mais politiques. C’est ce mysticisme puritain qui inspire Emerson, c’est éclairé en effet par la révélation individuelle qu’il aborde les questions les plus diverses de l’art, de la politique et des sciences.

Le panthéisme, on a pu le remarquer, s’introduit à pleins flots dans la doctrine de l’ame suprême telle que l’expose Emerson ; c’est peut-être parce que l’écrivain ne formule jamais complétement sa pensée. Il y a dans l’essai d’Emerson sur l’over soul beaucoup d’idées qui se rapprochent de celles de Novalis. Lorsqu’Emerson exprime cette pensée :