Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui avaient renversé ses projets. Il s’étonnait seulement de n’éprouver aucune colère soit de la trahison de sa sœur, soit de l’amour inspiré par un jeune homme de basse extraction à la sœur du calife. Était-ce qu’après tant d’exécutions sanglantes il se trouvait las de punir, ou bien la conscience de sa divinité lui inspirait-elle cette immense affection paternelle qu’un Dieu doit ressentir à l’égard des créatures ? Impitoyable pour le mal, il se sentait vaincu par les graces toutes-puissantes de la jeunesse et de l’amour. Sétalmulc était-elle coupable d’avoir repoussé une alliance où ses préjugés voyaient un crime ? Yousouf l’était-il davantage d’avoir aimé une femme dont il ignorait la condition ? Ainsi le calife se promettait d’apparaître le soir même au nouveau rendez-vous qui était donné à Yousouf, mais pour pardonner et pour bénir ce mariage. Il ne provoquait plus que dans cette pensée les confidences de Yousouf. Quelque chose de sombre traversait encore son esprit, mais c’était sa propre destinée qui l’inquiétait désormais. Les événemens tournent contre moi, se dit-il, et ma volonté elle-même ne me défend plus. Il dit à Yousouf en le quittant : Je regrette nos bonnes soirées à l’okel. Nous y retournerons, car le calife vient de retirer les ordonnances contre le hachich et les liqueurs fermentées. Nous nous reverrons bientôt, ami.

Hakem, rentré dans son palais, fit venir le chef de sa garde, Abou-Arous, qui faisait le service de nuit avec un corps de mille hommes, et rétablit la consigne interrompue pendant les jours de trouble, voulant que toutes les portes du Caire fussent fermées à l’heure où il se rendait à son observatoire, et qu’une seule se rouvrît à un signal convenu quand il lui plairait de rentrer lui-même. Il se fit accompagner ce soir-là jusqu’au bout de la rue nommée Derb-al-Siba, monta sur l’âne que ses gens tenaient prêt chez l’eunuque Nésim, huissier de la porte, et sortit dans la campagne suivi seulement d’un valet de pied et du jeune esclave qui l’accompagnait d’ordinaire. Quand il eut gravi la montagne, sans même être encore monté dans la tour de l’observatoire, il regarda les astres, frappa ses mains l’une contre l’autre et s’écria : « Tu as donc paru, funeste signe ! » Ensuite il rencontra des cavaliers arabes qui le reconnurent et lui demandèrent quelques secours ; il envoya son valet avec eux chez l’eunuque Nésim pour qu’on leur donnât une gratification ; puis, au lieu de se rendre à la tour, il prit le chemin de la nécropole située à gauche du Mokattam, et s’avança jusqu’au tombeau de Fokkaï, près de l’endroit nommé Maksaha à cause des joncs qui y croissaient. Là trois hommes tombèrent sur lui à coups de poignard ; mais à peine était-il frappé que l’un d’eux, reconnaissant ses traits à la clarté de la lune, se retourna contre les deux autres et les combattit jusqu’à ce qu’il fût tombé lui-même auprès du calife en s’écriant : O mon frère ! Tel fut du moins le récit de L’esclave échappé