Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait que décroître : elle est frappée maintenant d’une déplorable stérilité. Vainement le marché s’encombre, et les vers sont au rabais. Les transactions sont de plus en plus rares, les acheteurs de plus en plus froids. A qui la faute ? »

La faute n’en est probablement à personne. Il y a dans la vie des peuples, comme dans celle des individus, un concours de circonstances qui les rendent plus ou moins sensibles à telle ou telle excitation de l’intelligence. La France, par exemple, tant que les événemens politiques ont eu quelque grandeur, n’a pas quitté du regard, d’abord les clubs tumultueux, puis les frontières toujours plus lointaines ; l’éloquence révolutionnaire, les fanfares impériales, fumaient nos oreilles à toute pacifique harmonie. C’est à grand’peine que M. de Chateaubriand ou Mme de Staël triomphaient parfois de cette indifférence profonde que l’on témoignait pour les enseignemens ou les plaisirs littéraires. A la même époque, la Grande-Bretagne, — bien que profondément et sérieusement engagée dans les conflits européens, — devait à sa tranquillité intérieure un progrès très marqué, un élan très vif vers les nobles délassemens de l’esprit. C’est une chose merveilleuse à lire que les grandes revues anglaises pendant les premières années du XIXe siècle. En 1803, tandis que l’invasion menaçante semble devoir ne laisser place à d’autres soucis que ceux de la prise d’armes nationale, les Aristarques d’Édimbourg débattent à loisir le mérite des poèmes de Delille, comparent l’Amadis de Gaule de Southey à l’Amadis de Gaule de Stewart Rose, étudient la prose capricieuse de Lichtenberg et discutent la biographie de Chaucer par William Godwin. De l’Europe en feu, de la France triomphante et de son altier capitaine, à peine en est-il question, çà et là, incidemment, lorsqu’il faut contredire quelques-uns des plus grossiers mensonges inventés contre nous par la presse tory. Plus tard, et en présence d’événemens qui bouleversent le monde, vous retrouvez la même indifférence pour les agitations extérieures. En 1814, s’ils daignent jeter les yeux de l’autre côté du détroit, ces fiers insulaires n’y voient d’intéressant que la correspondance littéraire et philosophique de Grimm et de Diderot. — Qui donc alors, si ce n’est un reviewer anglais, pouvait s’occuper de Diderot et de Grimm ? — En Angleterre même, leurs grandes affaires étaient le Corsaire et la Fiancée d’Abydos, ou bien encore le Clair de lune, la Fille du Doge, Ariadne, chefs-d’œuvre oubliés de lord Thurlow. Cette apathie politique du peuple anglais, ce calme des esprits, cette attention profonde accordée aux poètes dans ce coin du monde, à l’heure même où Wellington et Castlereagh faisaient prévaloir l’intérêt britannique dans les grandes assemblées de la diplomatie européenne, forment, à notre avis, un contraste imposant et curieux.

C’en est un encore, en sens inverse, que le déclin de l’influence poétique