Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/646

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noble écusson, peuvent encore être évités. Mertoun vient en grande pompe solliciter la main de Mildred ; son rang, sa beauté, sa jeunesse, ses immenses domaines justifient cette demande, bien accueillie par Thorold. Il semble donc que l’hymen va tout réparer et couvrir de ses voiles sacrés la faute de la jeune fille ; toutefois ce n’est là qu’un trompeur sourire de la destinée. Le vieux Gérard, serviteur de Tresham, garde un visage triste au milieu des fêtes qui se préparent. Il sait qu’il n’a qu’un mot à dire pour que le mariage projeté devienne impossible, et sa fidélité lui prescrit impérieusement de ne rien cacher à son maître. Lord Tresham, l’orgueilleux frère de Mildred, apprend donc que sa sœur, cet ange de pureté, cette hermine gardée de toute souillure, reçoit les visites nocturnes d’un jeune homme inconnu. Vainement il voudrait douter de cette vérité cruelle : Gérard est un irrécusable témoin, et d’ailleurs il offre la preuve de ce qu’il avance. Avant de sévir, lord Tresham veut avoir une entrevue avec sa sœur, l’amener à un aveu, sonder ce cœur perverti. A peine en peut-il croire ses oreilles lorsque Mildred, avertie par lui qu’il la sait coupable, se déclare prête à épouser le jeune comte. Il y a ici une absurdité tellement palpable et en même temps si peu facile à supposer, qu’une citation textuelle devient nécessaire :


« TRESHAM. — Dois-je me taire ou parler ?

MILDRED. — Parlez !

TRESUAM. — Soit. Est-il une accusation que les hommes,… un homme du moins pût porter contre vous,… et que vous ayez voulu me cacher ?… Je ne croirai jamais que le mensonge puisse avilir vos lèvres. Dites-moi seulement : Pareille accusation n’existe pas… et je vous croirai, fallût-il pour cela refuser de croire le monde entier,… un monde d’hommes meilleurs que je ne suis, de femmes telles que je vous suppose. Parlez ! (Mildred se tait.) Rien ? Expliquez-vous donc ! que tout s’éclaircisse ; ôtez quelque chose à ce poids sous lequel je descends plus bas que la tombe… Rien encore ? Allégez, Mildred, allégez ce poids mortel. Ah ! si je pouvais prendre sur moi de répéter ce qu’ils disent contre vous ! Le dois-je, Mildred ?… Toujours ce silence ?… (Après une pause.) Est-il vrai que vous recevez un amant, chaque nuit, chez vous ? (Après une nouvelle pause, et d’un ton plus bref.) Alors, son nom ?… Jusqu’à présent, vous seule occupiez ma pensée. Maintenant, son nom !

MILDRED. — Cherchez, Thorold, une expiation à mon crime, si tant est qu’il puisse être expié. Faut-il vous dire que j’endurerai tout et vous bénirai, que mon ame appelle le feu purificateur où ses souillures seront dévorées ? Mais ne me rendez pas plus coupable encore. Assez d’infamie comme cela. Je ne puis révéler ce nom.

TRESHAM. — Jugez donc vous-même ! Que dois-je faire ? Prononcez… Cette journée, de manière ou d’autre, s’achèvera pour nous deux ; mais, demain, le comte se hâtera de venir… Hier, d’après votre désir, une lettre de moi lui a prescrit de se rendre ici. Cela dit tout ; le reste se devine : « Sa demande a trouvé grace