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disciples, et d’Antoine Arnauld sur ses enfans. Il y avait d’ailleurs la question des écoles, du monopole de l’instruction ; et, après avoir accusé les jansénistes d’entretenir des relations avec Genève, on les accusa, près de l’Académie, de vouloir corrompre la langue française et la langue latine. Port-Royal eut à lutter aussi contre le pouvoir temporel, parce que Richelieu, comme les jésuites, nourrissait de vieilles rancunes contre Jansenius, qui, dans un livre intitulé Mars Gallicus, avait, en 1636, fort vivement censuré l’alliance, conclue avec les puissances protestantes ; en voyant la secte nouvelle recruter quelques-uns de ses ennemis politiques, le cardinal la persécuta comme un parti qu’il fallait étouffer. Rome elle-même, à part la question d’orthodoxie, s’inquiéta et prit ombrage, car, tout en cherchant à resserrer les liens de la discipline et de la hiérarchie, les jansénistes défendaient les vieilles maximes de l’église gallicane, et protestaient contre les usurpations du saint-siège sur les droits des rois de France.

Tel est le point de départ, telles sont les origines de cette querelle qui constitue, avec la déclaration de 1682 et la révocation de l’édit de Nantes, l’un des trois grands faits théologiques du XVIIe siècle : querelle singulière où personne ne fut vaincu, où chacun fut dupé par des subtilités, où ceux mêmes sur qui l’église lançait l’anathème restaient obstinément dans son sein ; querelle ardente de monitoires et de pamphlets dans laquelle il se dépensa autant de dialectique, de finsse, d’activité que dans les luttes politiques les plus sérieuses ; querelle d’autant plus bizarre, en un mot, que les jésuites, ces prétoriens du saint-siège, en s’alliant d’une part à l’absolutisme ultramontain, de l’autre à l’absolutisme de Louis XIV, se déclaraient dans l’ordre théologique les défenseurs du dogme de la liberté, tandis que les jansénistes, qui, dans l’ordre politique, représentaient le parti de la liberté, proclamaient en matière de foi la tyrannie d’une sorte d’absolutisme providentiel.

Port-Royal, on le sait, fut le perpétuel foyer, et, qu’on nous pardonne ce mot tout profane, le véritable quartier-général du jansénisme ; aussi les écrivains qui nous ont transmis l’histoire de la secte se sont-ils bornés généralement à l’histoire même de l’abbaye. A partir de Racine jusqu’à la seconde moitié du XVIIe siècle, les annalistes de cette abbaye fameuse sont fort nombreux, et, sans parler des mémoires ou des histoires de Fontaine, de Dufossé, de Lancelot, de Besoigne, de Clément, de Guilbert, il est peu d’écrivains, même parmi les plus mondains, qui n’aient dit quelques mots des jansénistes, qui ne les aient loués ou critiqués. Mme de Montpensier en parle avec respect, Mme de Sevigné avec une affection vive ; Bossuet et Fénelon, aux prises sur la question du quiétisme, se rencontrent, pour les condamner, sur un terrain neutre, et Voltaire, tout en rendant justice au talent, au caractère de quelques-uns d’entre eux, se montre pour la secte en général