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a été violé, s’écrient les ardens protectionistes, sans penser que l’esprit des électeurs a changé dans le même temps que celui des députés. Il y a eu le parlement enragé, le parlement pensionné ; celui de 1841 sera le parlement apostat. Sir Robert Peel n’a point encore été assez puni en succombant au milieu même de son déplorable triomphe ; l’histoire réserve ses plus sévères jugemens au traître de Tamworth, qui a tué l’esprit public de son pays en le traînant après lui de contradictions en contradictions !

Est-ce bien là réellement le fond des choses ? est-il sûr que la machine constitutionnelle soit en souffrance parce qu’elle ne roule plus dans les mêmes ornières, et ceux-là sont-ils si coupables, qui, forcés par les idées et les événemens, lui ont retiré ses vieux étais, en aidant à la démolition des vieux partis ? L’esprit des électeurs, déconcerté peut-être au milieu du tourbillon de ces partis nouveaux, de ces fragmens de partis, s’est-il vraiment laissé gagner par l’indifférence, et les élections ne sont-elles plus un combat ? Il ne faudrait pas l’imaginer. On a vu sans doute, dans ces derniers jours, des choix regrettables, des échecs plus regrettables encore. Des candidats tout-à-fait politiques ont été évincés par d’autres qui n’avaient guère que l’avantage de ne pas l’être ; c’est ainsi qu’on a supplanté, à Édimbourg, à Bath, à Lambeth, à Tower-Hamlets, des hommes tels que M. Macaulay, M. Roebuck, M. Hawes et M. Fox. Ce triste revirement s’explique cependant par des motifs trop spéciaux pour être très décourageans. Sans parler encore ici du débat religieux qui est venu compromettre des élections si essentielles, il y a d’autres causes encore à leur insuccès. Le meilleur système électoral a ses inconvéniens, le pire a ses mérites. Quels justes reproches n’ont pas encourus les bourgs-pourris, lorsque Gatton et Old-Sarum étaient représentés au parlement, tandis que Manchester et Birmingham ne l’étaient pas ! C’était cependant grace au patronage qui disposait de ces collèges qu’il entrait tout d’un coup dans les communes de véritables aspirans politiques, des hommes d’étude et de cabinet qui devenaient les Burke, les Canning, les Mackintosh. Les grands collèges créés par le reform bill ne s’ouvrent pas si facilement à qui ne vit pas dans leur milieu, ils ne restent pas si sûrement inféodés à leur mandataire, et lui font naturellement sentir plus d’exigences, de plus diverses et de plus directes ; ils ont tous les bons et aussi tous les mauvais côtés de leur indépendance. On disait, lors de la discussion du reform bill et contre le projet de la réforme, qu’il serait impossible d’être à la fois membre du gouvernement et député d’un bourg considérable, parce que la fermeté des électeurs ne serait point suffisante pour garantir auprès d’eux le député ministre de ces alternatives d’impopularité qui accompagnent toujours plus ou moins l’exercice du pouvoir exécutif. Il semble que la prophétie se soit aujourd’hui réalisée aux dépens des collègues de lord John Russell, mais ce n’est point là l’engourdissement de la vie publique ; ce serait plutôt l’exagération de ses fantaisies ou peut-être même de ses susceptibilités, s’il fallait croire, comme l’ont affirmé M. Haves et M. Macaulay, que beaucoup d’électeurs ont rejeté des membres si distingués du cabinet, pour ne point subir de trop près l’influence du gouvernement.

Quel mouvement d’ailleurs, quelle vie puissante dans ce grand corps politique ! Quel vif échange de sentimens et de décisions entre les électeurs et les élus ! De part et d’autre, on se prend au sérieux, et l’on se le prouve. Il ne faut