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Robert Peel complimente lord John Russell du milieu de ses commettans de Tamworth ; lord John Russell parle à Guildhall sur le même texte et au nom des mêmes idées que sir Robert. L’un des membres de l’ancien cabinet, lord Dalhousie, entre au service de lord John du gré de tout le monde, et M. Masterman, le banquier tory de la Cité, s’asseoit aussi volontiers que ses collègues whigs à côté du député juif dont le premier ministre de l’Angleterre, le descendant des Bedford, a soutenu la candidature aussi vivement que si elle eût été la sienne. L’avenir est fermé, les questions de personnes sont toujours des barrières irritantes entre les hommes d’état qui pourraient s’allier ; mais il importe peu que lord John et sir Robert gouvernent eux-mêmes à l’aide des principes qui leur sont communs, si ces principes, servis plus ou moins directement tantôt par l’un, tantôt par l’autre, arrivent enfin à prendre tout-à-fait pied sur le sol anglais. Cela, nous le croyons. Aux élections du comté de Buckingham, un fermier se présente pour disputer la place à M. Disraeli ; excité sans doute par la concurrence d’un rival si lettré, l’honnête campagnard termine un discours assez peu poétique par ces vers de Shakespeare :

The people like a headlong torrent go
And every dam they break and overflow.

On ne pouvait ni mieux dire, ni dire plus ; le bonhomme se sentait aussi dans le torrent. Ajoutons que M. Disraeli déclara sur ces mêmes hustings qu’il voulait infuser dans les institutions « encore plus d’esprit démocratique, » et n’oublions pas que le grand shérif du comté s’appelle Mayer de Rothschild. Le comté de Buckingham n’offrait-il pas ce jour-là comme un abrégé de cette lente révolution qui change de fond en comble toute la société britannique ?

En Italie, l’attitude de la population romaine et la confiance entière qu’elle a dans le gouvernement de Pie IX continuent de servir de la manière la plus heureuse la cause du parti modéré. N’oublions pas que tout dépend à Rome des sentimens que porte le peuple au pontife qui le gouverne. L’attachement à la papauté n’a pas cessé d’y être grand, et la foi religieuse est restée intacte. On a vu sous Grégoire XVI le peuple, dans la crainte de troubler les derniers jours d’un vieillard qu’il vénérait, s’abstenir d’exprimer publiquement aucun venu d’amélioration et de réforme. Au moindre trouble, à la plus faible apparence de danger, les Transteverins se précipitaient sur les pas du pape lorsqu’il sortait, pour lui servir d’escorte. Malgré les tentatives faites dans les légations, malgré les excitations des carbonari, de la jeune Italie et de toutes les sociétés secrètes, Rome resta tranquille. Cependant elle souffrait, l’administration était mauvaise, l’état des finances était déplorable ; mais le peuple comprenait qu’un vieillard de quatre-vingts ans ne pouvait entreprendre des réformes longues et difficiles. On ne voulait pas non plus lui demander de congédier sa famiglia, c’est-à-dire tout ce qui l’entourait, sa maison, sa cour, où les partisans du statu quo étaient en grande majorité. Rome ajourna donc toutes ses espérances à un nouveau règne. Cette résignation, cette longue attente, expliquent l’enthousiasme avec lequel fut salué l’avènement de Pie IX, qui devint sur-le-champ populaire, quand on sut qu’il avait été nommé par le concours des cardinaux Micara et Gizzi, qui étaient les libéraux du sacré collége. Pie IX a eu le mérite de comprendre qu’il fallait répondre à tant de confiance par un complet dévouement