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der. La distribution des prix du concours général est non-seulement une fête qui a passé dans nos mœurs, elle est une sorte d’institution qui est un des utiles résultats de notre centralisation puissante. Là, l’élite de la jeunesse s’initie pour ainsi dire à la vie publique par la notoriété qui entoure ses premiers travaux. M. le ministre de l’instruction publique a surtout insisté, dans son discours, sur les innovations et les réformes qu’il a introduites dans le programme des études. Le but que doit se proposer l’Université a été défini par M. de Salvandy avec une justesse que personne ne contestera. L’Université doit à la fois conserver le culte et la pratique des lettres, et seconder tous les progrès de la science et de l’industrie. Maintenant comment accomplir cette double tâche ? Ici les difficultés et les controverses commencent. Nous sommes convaincus, avec un professeur éminent, que dans l’état actuel de la société le collège doit offrir aux familles divers genres d’instruction pour répondre à la diversité des professions, que cette diversité d’études ne rompt pas dans le collège l’unité de la discipline et la communauté de l’éducation. Seulement, comme l’a fort bien dit encore M. Saint-Marc-Girardin, s’il faut que les collèges enseignent tout, il ne faut pas qu’ils enseignent tout à tout le monde, car on tombe dans cette manie encyclopédique qui énerve toute instruction sous prétexte de l’étendre. En 1840, M. Cousin avait promulgué un règlement qui était fondé sur le principe de la liberté et de la division des études. Ce règlement, en vigueur pendant sept ans, vient d’être modifié par un nouveau programme où M. de Salvandy cherche à combiner l’étude des lettres et celle des sciences, et qui est obligatoire pour tout le monde. Voilà la différence fondamentale qui sépare les deux systèmes. L’expérience seule peut prononcer en dernier ressort. Toutefois, dès aujourd’hui, des considérations assez graves, car elles sont de tous les temps, nous paraissent militer en faveur du principe de la liberté et de la division des études. Il ne peut plus être permis, à quiconque aspire à une éducation libérale, d’ignorer les élémens des sciences ; mais n’est-il pas vrai que, pour s’élever au-dessus de ces élémens, il faut une aptitude particulière, une vocation spéciale ? Ne regrettera-t-on pas un jour d’avoir déclaré obligatoire pour tous les élèves un programme scientifique dont une partie n’est déjà plus élémentaire ? On se plaint que l’Université modifie tous les cinq à six ans ses programmes d’études. Voilà un nouveau remaniement. Sera-t-il définitif ? C’est d’ailleurs pour les jeunes générations le moment où les hommes les plus graves leur prodiguent d’affectueux et utiles conseils. A côté des discours qu’elles entendent, on peut mettre les paroles d’un de nos hommes politiques qui ont le mieux apprécié les services rendus par l’Université. « Vous voyez par moi, a dit M. Thiers aux élèves du collége de Marseille, qu’un enfant pauvre peut arriver aux premiers rangs de notre société. » C’était signaler en deux mots la puissance du travail et du talent ; c’était faire comprendre à cette jeunesse qui se pressait autour de l’illustre historien que la légitime ambition consiste à conquérir une place dans l’ordre social suivant la mesure de ses forces ; c’était distinguer sagement le principe salutaire de l’émulation des mauvaises passions suggérées par l’envie et l’esprit de révolte. Nous préférons ces sobres et sages paroles à ces harangues pompeuses et ardentes, où l’orateur, s’adressant aux masses, travaille à les aigrir, à les enflammer, à ces entraînemens de poésie et de rhétorique qui peuvent produire de désastreux effets sur les imaginations populaires.