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de la France et de la défection des alliés de l’Angleterre dut le porter à abandonner plus facilement le pouvoir ; peut-être même s’applaudit-il en secret d’un concours de circonstances qui l’autorisait à se retirer sans paraître céder à la mauvaise fortune, à laisser à d’autres la tâche des négociations à entamer avec l’ennemi vainqueur, et à se réserver pour de meilleurs temps. Toutefois il est certain que sa démission ne fut pas une mesure concertée soit avec le roi, soit avec Addington, qu’elle résulta d’un désaccord sérieux avec le vieux monarque, que Pitt, s’il approuva le choix de son successeur, ne le conseilla pas, et qu’Addington ne reçut pas le pouvoir de ses mains pour l’exercer en quelque sorte à titre de délégué temporaire. Voici comment les choses se passèrent en effet.

Pitt croyait sincèrement que, pour consolider l’union récemment décrétée entre l’Angleterre et l’Irlande, il fallait effacer les derniers restes de la législation barbare qui avait si long-temps pesé sur les catholiques, c’est-à-dire sur l’immense majorité de la population irlandaise. Par suite d’adoucissemens successifs, cette oppression, naguère si cruelle, se trouvait à peu près réduite à l’incapacité de siéger dans le parlement et à l’exclusion de toutes les fonctions publiques de quelque importance. Pitt voulait abaisser cette barrière ; il projetait même d’allouer une dotation au culte catholique, moyennant certaines garanties, destinées, à rassurer l’église protestante sur le maintien de sa suprématie. Ses agens, allant peut-être au-delà de ses instructions, avaient, à ce qu’il paraît, fait luire cette perspective aux yeux du peuple et du clergé irlandais pour vaincre la résistance qu’ils avaient d’abord opposée à l’union, et ce n’avait pas été, dit-on, un des moyens les moins efficaces auxquels ils avaient eu recours. Pitt n’a jamais reconnu qu’il se fût ainsi engagé. Il pensa néanmoins que, l’Irlande ayant cessé de former un état séparé dans lequel les catholiques, à raison de leur nombre, n’auraient pu, sans danger pour la religion établie, être admis à une entière égalité de droits avec les protestans, le moment était venu de les délivrer, tant dans cette partie de l’empire britannique que dans toutes les autres, d’une servitude qui n’était plus justifiée par la raison d’état. L’entreprise, cependant, n’était rien moins que facile. La haine et la terreur de la religion romaine, de ce qu’on appelait le papisme, avaient encore des racines bien profondes, non-seulement dans la masse ignorante du peuple protestant, mais dans les classes plus éclairées et même parmi les hommes d’état voués, par caractère ou par système, à la défense des vieilles institutions. Méconnaissant la différence des temps, on les entendait répéter sans cesse que l’édifice de la constitution était fondé sur la domination du protestantisme et sur l’exclusion absolue du papisme, qu’il fallait bien se garder d’ébranler ces bases, que l’église romaine, toujours immuable, comme elle s’en glorifie, n’avait