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souvent un caractère excessif qu’explique l’affaiblissement de la raison de ce malheureux prince. Certains propos qu’il tint à ses ministres favoris, certains billets qu’il leur écrivit dans des circonstances qui ne semblaient pas de nature à lui causer une vive émotion, sont empreints de cette tendresse exaltée et bizarre dont l’ame se trouve quelquefois pénétrée, lorsqu’un commencement d’ivresse ou l’imminence de la folie vient déranger l’équilibre de ses facultés.

Tout souriait donc au ministère, rien ne lui faisait obstacle, et on eût pu croire qu’un charme magique avait fait disparaître devant lui les difficultés sans nombre qui naguère entravaient de toutes parts l’action du pouvoir ; mais ce triomphe factice, dû presque uniquement à la fatigue momentanée du pays, ne pouvait être de longue durée. La paix générale, rétablie par le traité d’Amiens, était tout à la fois la raison d’existence et le titre d’honneur de l’administration d’Addington. Elle lui avait donné une grande popularité ; elle expliquait aux yeux de tous sa présence au poste que Pitt avait occupé tant que la guerre avait duré, tant que ses talens et son énergie avaient été nécessaires pour tenir tête à un formidable ennemi. Cette paix cependant ne tarda pas à être compromise. Quelques mois s’étaient à peine écoulés que déjà les empiétemens et les prétentions du premier consul français avaient réveillé la jalouse inquiétude de la nation britannique. Vainement Addington, qui désirait le maintien de son œuvre, s’efforça-t-il, d’abord par des ménagemens que beaucoup de personnes trouvèrent exagérés, puis par de vives remontrances et par des exigences peut-être, excessives, de prévenir le renouvellement des hostilités. Bientôt l’optimisme le plus extrême put à peine se dissimuler l’imminence d’une rupture. Dès ce moment, on peut le dire, l’arrêt de mort du cabinet fut prononcé. L’Angleterre, replacée en présence des plus grands dangers qui l’eussent jamais menacée, devait se hâter de rappeler au pouvoir l’homme que l’opinion désignait comme le plus capable de soutenir une aussi terrible lutte. Addington, dans l’intérêt du pays, dans son propre intérêt même, eût dû comprendre que l’heure de la retraite avait sonné pour lui. Il ne le comprit pas, et, pour s’en étonner, il faudrait ignorer absolument la puissance de l’amour-propre.

J’ai dit qu’un petit nombre d’amis de Pitt, malgré les exhortations de leur chef, s’étaient constamment refusés à appuyer son successeur. Canning particulièrement s’était efforcé, avec une singulière vivacité, de discréditer Addington, de le présenter comme un ministre incapable, de le tourner même en ridicule. Faisant allusion à la profession de son père et aussi à certaines habitudes de pompe magistrale que l’ancien orateur des communes avait peut-être contractées dans l’exercice de ses fonctions présidentielles, il affectait de ne plus le désigner que par le titre de docteur, qui, pendant bien des années, resta attaché