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qu’a toujours eu Valparaiso pour les voyageurs et les marins de toutes les nations. Comment quitter d’ailleurs sans regret cette ville amie du plaisir, cette ville où le Français lui-même échappe à ces vagues et maladives aspirations vers la terre natale, symptômes nostalgiques si communs chez nos compatriotes après quelques années passées sous un ciel étranger ?

Malheureusement le climat de Valparaiso est perfide ; des journées de deuil et de tristesse succèdent aux nuits de fête. Les tourmentes, les tremblemens de terre, affligent tour à tour cette partie du Chili. Le vent du sud et le vent du nord sont redoutés à Valparaiso comme d’implacables ennemis. L’un vient de terre et soulève une poussière fine et brûlante qu’il porte au loin comme un brouillard sur les navires ; l’autre vient de la mer et pousse d’énormes vagues vers le rivage. Quand le premier de ces vents souffle (ce qui arrive presque tous les jours durant l’été), la ville se voile d’un nuage doré, la mer se couvre d’écume. Braver ce (chamsin, se rendre à pied du Puerto à l’Almendral à travers les flots d’une poussière fine et pénétrante comme du tabac d’Espagne, c’est une action presque comparable à celle de Léandre traversant l’Hellespont à la nage. Le vent du sud se déclare vers midi, et, pendant qu’il règne, le ciel conserve un azur irréprochable ; enfin, quand le soleil abaisse vers les monts du couchant son disque radieux, les rafales deviennent plus rares, puis elles s’affaiblissent avec la lumière décroissante, et la nuit semble faire descendre avec elle le calme le plus profond sur la terre et sur les flots.

La baie de Valparaiso est sans abri contre le vent du nord. Pour peu que ce vent souffle avec furie (ce qui est rare), la houle devient une montagne dont la crête déferle en rugissant. Malheur alors aux navires assez imprudens pour rester au mouillage ou pour ne pouvoir le fuir ! En vain ils raidiront leurs câbles et se cramponneront aux roches sous-marines de toute la force de leurs ancres crochues : câbles, chaînes et ancres seront impuissans à les retenir ; ils dériveront avec rapidité et s’en iront à la côte renouveler le drame horrible de 1823, où dix-sept navires furent mis en pièces sans qu’il fût possible de sauver même l’équipage de plusieurs d’entre eux.

On peut se garantir des fastidieuses tourmentes du sud en restant chez soi et en tenant portes et fenêtres closes, on peut se précautionner contre le souffle déchaîné du nord ; mais un fléau qui déjoue toutes les prévisions humaines vient sans cesse crier au Chileno un terrible memento mori : ce fléau est le tremblement de terre. Les trois élémens s’émeuvent. Les volcans crèvent le sol, soufflent la flamme, et vomissent des flots de lave et d’asphalte ; parfois même ils chassent de la mer, en colonnes de fumée noire et empestée, leur haleine infernale, qui couvre la grève de poissons asphyxiés. La mer, violemment