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III.- UN VILLAGE INDIEN

Il était nuit close. La lune, qui jusqu’alors avait éclairé la route, s’était entourée d’un cercle de sinistre augure, puis elle avait fini par disparaître sous les nuages noirs amoncelés à l’horizon. De temps à autre, un éclair jaunâtre sillonnait cette masse sombre et faisait ressortir, en s’éteignant, l’épaisse obscurité qui enveloppait la campagne. L’instinct de nos chevaux nous dirigeait seul au milieu des ténèbres. Les aboiemens des chiens errans signalaient et accompagnaient notre passage auprès des habitations isolées que nous rencontrions ; quelquefois notre cavalcade faisait lever des troupeaux de porcs qui se vautraient dans les anfractuosités du terrain, et ne se retiraient devant nous qu’avec de sourds grognemens. Au milieu de cette nature sauvage et à la lueur des éclairs de plus en plus fréquens, nous ressemblions plutôt à des routiers en campagne qu’à des promeneurs réunis pour une excursion joyeuse.

Nous avions déjà dépassé le village de Tacubaya, déjà nous étions engagés sur le chemin montueux qui mène à Toluca, et je ne savais pas encore où l’on me conduisait ; peu m’importait d’ailleurs, pourvu que nous pussions atteindre le but de ce voyage nocturne avant l’explosion de l’orage, qui s’annonçait par de lointains roulemens de tonnerre. Bientôt nous atteignîmes une éminence, qui s’élevait à la lisière d’une forêt de sapins. Là nous dûmes faire halte pour laisser un instant souffler nos chevaux. Les tourbillons de poussière que nous venions d’avaler nous faisaient sentir d’ailleurs le besoin de nous rafraîchir. Une outre remplie d’un vin épais de Valdepeñas, que l’officier don Blas portait à l’arçon de sa selle et qui passa successivement de main en main, servit pour le moment à étancher la soif ardente qui tourmentait chacun de nous. Je profitai de ce moment de répit pour interroger de nouveau mes compagnons de route sur le but de notre excursion. L’étudiant en théologie se chargea de satisfaire ma juste curiosité.

— Je suis invité, me dit-il, à passer mes vacances de Pâques dans l’hacienda d’un de mes amis, à une douzaine de lieues d’ici ; j’ai pensé qu’il ne lui serait pas désagréable de recevoir quelques hôtes de plus, et je ne doute pas que vous ne soyez les bien-venus à l’hacienda.

De son côté, le seigneur don Romulo n’était pas fâché de laisser se calmer, pendant son absence, l’agitation causée par un pamphlet assez violent qu’il venait de lancer contre le gouvernement de la république ; puis, sachant que les ruines d’un couvent célèbre, le Desierto, se trouvaient sur notre route, il avait été bien aise de les visiter en passant. L’officier espérait ne rencontrer dans le Desierto ou à l’hacienda